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Les anti-moussants sont impuissants en microgravité
10/09/2015

La mousse, un ensemble de bulles « siamoises »

mousses ingfographieUne bulle de savon, c’est un mince film liquide qui enferme une certaine quantité de gaz, de l’air en l’occurrence. Le rapport est de l’ordre de 15% de liquide pour 85 % d’air. Ce qui explique l’extrême légèreté des mousses. Une mousse est composée d’une grande quantité de bulles qui forment un ensemble, une structure dont les propriétés sont très différentes de celles d’une bulle isolée, par exemple celle produite par un enfant qui souffle du savon au travers d’un anneau. Il faut se représenter deux bulles de savon voisines dans une mousse (infographie). Elles partagent une frontière en commun, une interface sous la forme d’un film mince par lequel elles sont reliées, un peu comme des siamoises.

Juste après la génération de la mousse, provoqué par l’agitation du piston dans la seringue, les particules anti-moussantes sont réparties de manière plus ou moins égale dans ces zones liquides qui constituent les interfaces entre les bulles. Mais quand la source d’énergie mécanique disparaît (quand le piston s’arrête), le déplacement des particules anti-moussantes n’est plus du tout aléatoire. Le liquide qui compose les films a tendance à descendre par drainage, sous l’effet de la gravité, faisant glisser les particules anti-moussantes de haut en bas, à l’intérieur de la paroi qui relie les deux bulles. Les particules, plus denses que le liquide, tombent plus vite. C’est un phénomène de sédimentation, comme un caillou dans l’eau ou, pour utiliser une meilleure comparaison sur le plan de la densité, comme une bille dans un pot de miel.

Résultat, sous l’effet de la gravité, le film s’amincit de plus en plus. En dessous de 4 nanomètres, la paroi est trop fine et devient poreuse, permettant les échanges d’air entre les deux bulles. La plus petite bulle, dans laquelle la pression est plus forte, va donner son air à la plus grande. Le film entre les deux bulles finit par se rompre. C’est ce que l’on observe dans un bain moussant ou dans une bière : au bout de quelques minutes, la mousse est plus clairsemée. En fait, il y a moins de bulles et elles sont plus grosses. Or des bulles de grande taille présentent une surface de contact avec l’air extérieur plus importante que les petites, ce qui favorise l’évaporation et donc la disparition finale des bulles. Si vous ne touchez pas à votre bière pendant dix minutes, elle finit par être complètement… plate. « Sauf la Guinness, sourit Hervé Caps. En raison de la très petite taille de ses bulles dès le départ, elle conserve une mousse beaucoup plus longtemps que les autres bières. »

Les particules anti-moussantes accélèrent ce processus d’éclatement des bulles. Car elles ne « tombent » pas tout droit au sein du liquide. Elles dévient immanquablement de leur trajectoire, comme une voiture sur l’autoroute aspirée vers les glissières de sécurité sur le côté. Les particules anti-moussantes sont ainsi attirées vers la paroi la plus proche et finissent par la toucher, ce qui contribue à détruire le film entre les deux bulles.

De la mousse en orbite

Que deviennent les molécules anti-moussantes une fois qu’une bulle éclate et disparaît ? Elles sont redistribuées dans le reste de la mousse et peuvent ainsi contribuer à nouveau à faire éclater le film entre deux autres bulles, et ainsi de suite… « Ce mécanisme à répétition explique pourquoi les anti-moussants sont efficaces à très faibles doses, explique Hervé Caps. On estime qu’une particule sous l’effet de la gravité met 50 fois moins de temps pour s’attaquer à une paroi que dans un processus de déplacement par diffusion, qui serait aléatoire. » La gravité joue donc un rôle essentiel dans le processus d’éclatement des bulles. Et, a contrario, son absence aussi…

Cette recherche publiée dans NPJ Microgravity contribue à améliorer les connaissances théoriques sur le comportement des mousses. « Dans une recherche antérieure, explique Hervé Caps, réalisée dans la Station spatiale internationale avec le concours de Frank Dewinne (Lire l’article Mission OasISS), nous avions montré qu’un anti-moussant est inefficace lorsqu’un ensemble de bulles ne contient pas de film. C’est le cas lorsque la proportion de liquide est supérieure à 36 % et donc celle du gaz inférieure à 64 %. Dans ce cas, bien que les unes à côté des autres, les bulles restent sphériques et ne possèdent pas d’interface, ce qui empêche le mécanisme de drainage des particules anti-moussantes et limite donc leur contact avec les parois des films. »

Pour fondamentales qu’elles soient, ces recherches sur les mousses en microgravité sont attentivement suivies par l’industrie. L’enjeu est d’améliorer l’efficacité des produits moussants ou anti-moussants afin de réduire les quantités utilisées, et ainsi faire des gains économiques ou écologiques. L’industrie cosmétique est au balcon, évidemment, mais aussi l’industrie agro-alimentaire. L’onctuosité d’un produit laitier, par exemple, s’explique par l’incorporation de substances « moussantes ».

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