Quelques rares études s’étaient jusqu’à présent intéressées à l’impact que la NAO pouvait avoir sur le Gulf Stream. Leurs résultats étaient toutefois contradictoires. « Un premier groupe de scientifiques affirme que si l’indice de la NAO est négatif (quand le dipôle est moins marqué), alors le courant océanique sera plus faible, et inversement. Un deuxième groupe dit exactement le contraire ! Enfin, un troisième groupe estime qu’une NAO positive impliquera un Gulf Stream plus au nord et vice-versa ».
Pour tenter d’y voir plus clair, Sylvain Watelet a entrepris une étude plus précise. Là où ses prédécesseurs se concentraient sur des données très localisées et sur des périodes assez courtes, le doctorant a au contraire opté pour l’analyse d’une portion plus large du Gulf Stream (entre 50 et 70 degrés ouest de longitude et ente 35 et 47 degrés nord de latitude, soit grosso modo la partie « horizontale » du courant) et sur une période plus longue, de 1900 à 2012.
« C’est là que le logiciel Diva intervient, explique-t-il. Je reconstruis depuis 1900 les champ de température (de surface pour l'instant) sur la zone du Gulf Stream, grâce à DIVA (Data Interpolating Variational Analysis). Ensuite, grâce à ces champs, je calcule la position du Gulf Stream (c'est là où le gradient de température nord-sud est le plus élevé). Enfin, de la puissance du gradient, je tire un indice d'intensité du Gulf Stream. » La première étape fut donc de récolter l’ensemble des statistiques, en fouillant les bases de données disponibles sur le web, essentiellement celles reprenant les mesures de la température de l'eau en surface. En réalité, le chercheur liégeois a analysé température et salinité pour 15 profondeurs différentes (de 0 à 3000 m), mais il ne s’est pas encore servi de ces résultats. Les données proviennent de bouées fixes et dérivantes, de croisières,... Une tâche moins aisée qu’il n’y paraît, entre les doublons, les imprécisions, les arrondis trompeurs, les falsifications volontaires émanant d’expéditions (par exemple militaires) qui n’ont pas envie qu’on puisse retracer précisément leur itinéraire… Au final, le doctorant a établi une base de données homogène comportant pas moins de 40 millions d’entrées.
Corrélation, oui mais…
De quoi constituer deux indices : l’un indiquant la position du Gulf Stream et l’autre son intensité. Sylvain Watelet a ensuite confronté les résultats obtenus avec des données satellitaires, uniquement disponibles depuis 1982. « Il y a une correspondance pour ces trente dernières années, cela a donc validé la construction de mes indices ». De quoi arriver à la dernière étape, à savoir la confrontation avec la NAO, la même année mais aussi avec 1 et 2 ans de décalage.
« Les corrélations entre la position du Gulf Stream et l’oscillation nord-atlantique ne sont jamais significatives, sauf entre 1940 et 2012 avec un an de décalage. Depuis 1982 la corrélation entre la position du Gulf Stream et l’oscillation nord-atlantique n'est (tout juste) pas significative (la période est trop courte), mais en la calculant sur une plus longue période (1940-2012), elle le devient. Cela veut bien dire qu'il y a un lien entre la NAO et le Gulf Stream. Entre 1900 et 1940, la diminution de la corrélation est logique : le nombre de données diminuant terriblement (beaucoup plus faible qu'entre 1940 et 2012), nos analyses ne sont en général plus fiables. Mais si on pondère la corrélation en fonction du nombre de données (moins il y a en a, moins on considère ces années dans le calcul), elle devient alors significative. » Concernant l’intensité, il a fallu se concentrer sur 1960-2012 et non plus sur 1940-2012 (comme pour la position), ce qui est probablement lié au fait que l'évaluation correcte de l'intensité du Gulf Stream demande une plus grande densité de données que l'évaluation de sa position. Dans ce cadre, une corrélation significative est apparue entre 1960 et 2012, la même année ou avec un décalage de deux ans. « Pourquoi ce décalage de 0 ou 2 ans alors que dans le cas de la position, ce décalage est de un an ? Pour l’instant, il n’y a pas de réponse à cette question », regrette Sylvain Watelet.