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Ce que nous apprend le temps des fleurs chez les jeunes filles… 
27/08/2015

Ce qu'il faut aussi retenir, poursuit Jean-Pierre Bourguignon, c'est que pendant la grossesse, une alimentation déséquilibrée parce que trop riche, ou bien une alimentation insuffisante, peuvent être des stresseurs, tout comme peuvent l'être l'exposition à des perturbateurs endocriniens. On sait, désormais, que les effets de ces deux facteurs s'avèrent cumulatifs. "Pendant la vie foetale, précise-t-il, nous programmons la manière dont va se régler notre balance énergétique. Or, les perturbateurs endocriniens modifient ce schéma de base de manière très convaincante : ils risquent, par exemple, de provoquer diabète de type 2 et obésité. Mais, aussi, d'influer sur la puberté. Ainsi, une de nos récentes études, menée sur des rates sous-nourries pendant leur gestation, démontre que cinq jours d'exposition à un perturbateur endocrinien (le DES) change le timing pubertaire, en association avec une modification des effets de la leptine sur l’hypothalamus".

Les pistes de l'adoption

Le poids du facteur nutritionnel et la problématique des perturbateurs endocriniens semblent particulièrement cruciaux chez certaines fillettes : celles qui ont été adoptées dans des pays lointains (Lire Puberté précoce et DDT). En effet, en s'interrogeant sur le nombre de cas élevés de puberté précoce apparus chez ces fillettes, les chercheurs en sont venus à poser en hypothèse que leur avancement pubertaire pourrait résulter d'une combinaison d’une situation d'adversité en début de vie, suivie par une opulence (nutritionnelle) à la prépuberté et, dans certains cas, à l'impact d'une exposition (pour elles et/ou chez les mères enceintes) à des polluants chimiques, dont certains sont d'ailleurs désormais interdits en Europe... C'est le cas, par exemple, pour les enfants provenant de pays qui connaissent une situation de malaria endémique, et où le DDT est encore ou a encore été largement utilisé. Filles et garçons seraient alors davantage à risque de puberté précoce. Par rapport à des enfants belges non exposés, le risque serait 80 fois plus élevé, estiment les pédiatres endocrinologues.

"Le moment fait le poison"

Les constats quant aux conséquences des expositions in-utero à divers polluants et toxiques ont conduit les chercheurs à d'autres remises en question particulièrement importantes. "Pendant longtemps, détaille le Pr Bourguignon, nous avons examiné ces impacts environnementaux en nous plaçant sous l'angle de la toxicologie 'traditionnelle'. Nous adoptions le principe ancien de Parcelse selon lequel 'la dose fait le poison'. Or il découle de nos différentes recherches qu'un changement de paradigme s'impose absolument : c'est - aussi - le moment qui fait le poison. Ainsi, par exemple, le foetus va être très sensible à certains perturbateurs qui, à d'autres périodes de la vie, seraient sans effet sur l'organisme."

Dans un article en voie de publication, les chercheurs liégeois démontrent également qu'une même substance peut avoir des effets diamétralement opposés, détaille le Pr Bourguignon. Pour arriver à une telle conclusion, ils ont injecté à des rates des doses différentes de bisphénol A, pendant deux semaines après la naissance de ces animaux. Dans un cas, il s'agissait de la dose "limite" supérieure. Elle a provoqué un avancement de la puberté. Dans l'autre cas, une dose, 200.000 fois plus faible a, quant à elle,... retardé la puberté : une même substance, donnée au même moment, a donc eu des effets contraires en fonction de la dose. En étudiant la fréquence des sécrétions de neuropeptides dans le cerveau des rates, il a été possible de voir que pour les animaux exposés aux fortes doses, le cerveau fonctionnait comme s'il était plus mature, tandis qu'à l'inverse, un retard de maturation se produisait avec la faible dose. Si cette étude est importante, c'est qu'elle remet entièrement en question le principe de "dose tolérable" pour l'organisme.

"Ce principe, défendu par la toxicologie actuelle, n'est pas applicable à certains perturbateurs endocriniens", assure le Pr Bourguignon. Ce constat bouscule solidement le système sur lequel nous fonctionnons actuellement en matière de "tolérance" aux produits de l'industrie. Face aux enjeux, et afin de continuer à investiguer ce domaine potentiellement lourd en conséquences, l'endocrinologue explique qu'il s'agit désormais d'étudier l'ensemble du génome pour voir l'expression des gènes et leurs variations contradictoires en fonction des doses d'une substance injectée. En effet, la lecture qui découle des travaux actuels implique des liens possibles entre l'environnement et le contrôle génétique, avec des effets environnementaux influant sur des mécanismes épigénétiques. "Les modifications possibles de l'expression des gènes lors de la vie foetale peuvent passer à la vie adulte. Et elles pourraient impacter les générations ultérieures", prévient l'endocrinologue pédiatre.

Prévenez les citoyens !

Potentiellement, les travaux menés sur la puberté sont donc susceptibles de déboucher sur des implications extrêmement lourdes au niveau de la santé publique. "Actuellement, le foetus est exposé à plus d'une centaine de substances chimiques, dont des perturbateurs endocriniens", rappelle le Pr Bourguignon. Quelle doit être l'attitude des autorités ? Pourront-elles résister aux pressions des lobbys qui luttent, au sein de l'Union européenne, afin de continuer à pouvoir employer ces substances ? Du côté des Etats, on sait que ces derniers sont souvent divisés quant aux mesures de précautions qu'ils décident. Par exemple, en France, le bisphénol A a été interdit dans tous les contenants alimentaires. En Belgique, les autorités se sont contentées de le bannir des aliments pour bébés. 

Parallèlement, une autre question demeure en suspens : comment former les médecins pour qu'ils puissent jouer pleinement leur rôle de prévention ? "Actuellement, on peut - on doit- essentiellement dire aux femmes que la grossesse est une période particulièrement ciblée, pendant laquelle le principe de précaution devrait s'appliquer au maximum, constate le Pr Bourguignon. Mais cette préoccupation ne concerne pas uniquement les femmes enceintes : toute la société se doit d'être consciente qu'en exposant indûment le foetus, nous risquons de préparer des conséquences qui porteront leurs effets dans quelques dizaines d'années ou plus. Outre des produits, comme par exemple les phtalates, qui peuvent être responsables de malformations génitales, une série de substances interfèrent avec notre système hormonal, et elles sont porteuses d'un enjeu différé. Des études montrent que cela ne touchera pas que la puberté : on peut aussi parler de troubles du développement cérébral, d'obésité, de diabète, de syndrome métabolique..."

Le décalage entre nos réactions actuelles - ou nos insuffisances de réactions - et des processus en cours pourraient donc être lourd de conséquences. En ce sens, les recherches menées par les équipes liégeoises rappellent donc plus qu'utilement que les travaux sur la modification et les bouleversements de la puberté dépassent largement, par la portée de leurs messages, la tête de nos garçons aux voix mutantes ou de nos jeunes filles en fleur...

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