Paroles de jeunes
" Il faut être conscient qu'il ne suffit pas de dire que la puberté commence de plus en plus tôt. Lorsque nous l'affirmons, nous sous-tendons nos dires par des observations cliniques", précise le Pr Bourguignon. Ce point, également soulevé dans "Changes in Pubertal Timing: Past Views, Recast Issues", permet de mettre en perspective l'impact d'études fondées sur les auto-évaluations effectuées par les adolescents, à qui on demande de témoigner de leur développement pubertaire.
Face à des jeunes souvent réticents à un examen physique - surtout lorsqu'ils ne sont pas venus rencontrer le médecin pour ce motif - de nombreuses études se fondent sur des auto-évaluations menées par les adolescents. Pour récolter l'information auprès des jeunes, différentes méthodes ont été élaborées. Elles s'appuient parfois sur des dessins, des images ou sur différentes propositions écrites. Selon la validité de ces méthodes - qui, rappelons-le, ne peuvent entièrement se substituer aux résultats obtenus par des examens pratiqués par un médecin-, des résultats parfois contradictoires ont été obtenus.
A l'université de Liège, une étude rétrospective d'auto-évaluation a abordé ainsi la question auprès des répondants : "Entre 8 et 18 ans, garçons et filles changent physiquement, mais pas au même moment. En considérant votre développement physique, comment l'évalueriez-vous en comparaison d'amis du même âge : très précoce, un peu précoce, identique, un peu plus tardif, très tardif ?".
Dans les réponses, davantage de jeunes ont estimé avoir connu une puberté précoce plutôt que tardive. Une autre étude était parvenue à un résultat identique, avec de 12 à 13% d'adolescents admettant un retard de puberté par rapport à leurs pairs, et 28 % jugeant qu'ils avaient eu un développement plus précoce que leurs camarades. En réalité, si les deux-tiers des réponses concordaient effectivement avec le diagnostic médical, pour une proportion élevée de jeunes, le compte n'y était pas.
Ce constat s'explique assez "simplement" : s'évaluer comme "précoce" serait plus valorisant. Pourtant, déceler la proportion de jeunes effectivement confrontés à une puberté précoce ou avancée reste une donnée importante pour les chercheurs. En effet, ces adolescents sont, aussi, davantage susceptibles de se lancer dans des comportements à risque...
Le poids de la nutrition
La nutrition occupe une place déterminante parmi les facteurs impliqués dans le déclenchement pubertaire, en particulier chez les filles. Assez logiquement, le lien entre nutrition et puberté fait donc l'objet de nombreuses investigations. Comme le précisent les chercheurs, "la balance énergétique et le timing pubertaire partagent en commun des facteurs régulateurs, avec des influences possibles durant la vie foetale".
Sur le plan théorique, on sait qu'un niveau suffisant de masse grasse envoie un signal au système neuroendocrinien pour amorcer l'apparition de la puberté, à travers la leptine (dans la maturation pubertaire, la leptine joue un rôle de prérequis dans le contrôle neuro-endocrinien). "Sans leptine, il n'a pas de puberté possible, détaille le Pr Bourguignon. Mais avoir de la leptine ne déclenche pas forcément la puberté." En tout cas, l'obésité est avancée par certains auteurs comme une cause directe d'apparition d'une puberté précoce.
En fait, la disponibilité en énergie et l'adiposité, en lien avec le développement pubertaire, occupe un rôle important au cours de plusieurs périodes de la vie. Ainsi, des études récentes ont montré que des gains de poids liés à des variations de nutrition dans les premiers mois suivant la naissance pouvaient impacter à la fois la puberté et le risque d'obésité de l'enfant. Une autre étude a révélé que les enfants qui ont un indice de poids corporel élevé (BMI) à 7 ans atteignent plus rapidement la puberté. Un lien inverse a été trouvé entre le poids de naissance et l'avancement en âge des ménarches : plus le poids est bas, plus la puberté survient tôt.
Sur ce dernier point, des recherches menées sur l'impact des restrictions alimentaires foetales et/ou néonatales montrent que "l'organisme va modifier le moment de la puberté de manière différente selon les différentes conditions auxquelles il peut être soumis, explique le Pr Bourguignon. Ainsi, une déficience en nutrition survenue in utero peut être lue par l'organisme comme une remise en question possible de l'espèce. Cette situation sera donc interprétée comme une nécessité d'avancer l'âge de la maturation pubertaire et de la capacité de se reproduire." En revanche, une malnutrition au moment de l'approche de la puberté va entraîner des effets exactement contraires. C'est qu'il ne s'agirait pas que, dans des conditions adverses, la jeune fille puisse tomber enceinte ! Pour éviter une telle situation, le corps programmerait donc un report de la puberté.
Cette extraordinaire traduction, par l'organisme, des conditions à laquelle est soumis un foetus, un nouveau-né, et/ou un jeune enfant ou une fillette qui approche de la puberté, pourrait également se produire en cas de situations psycho-sociales stressantes.
"Dans le concept que nous défendons, nous soulignons qu'on ne peut faire de relation simple ou simpliste entre la nutrition et l'environnement et le timing pubertaire, résume le Pr Bourguignon. En fait, tout dépend du moment où surviennent différents éléments. Et ce sont, précisément, ces différents moments qui peuvent s'avérer déterminants."
De plus, il reste encore à découvrir - ce point semble difficile à déterminer, signalent les auteurs liégeois de l'article paru dans Frontiers of Neuroendocrinology- s'il existe un continuum entre les trois fenêtres de sensibilité déterminées par les chercheurs - la vie prénatale, postnatale et pendant l'enfance - ou si chacune intervient "séparément".