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Des cathédrales forestières en sous-sol
10/07/2015

Leur principal point commun est la présence d'une strate herbacée où dominent largement les graminées et les plantes à fleurs, de même que l’absence ou le caractère diffus des formes de vie arborées.  Or cette diversité rend difficile l'établissement d'une définition générale. Dans certains cas, par exemple celui des forêts tropicales sèches, il est même difficile d’établir des critères clairs de distinction entre les écosystèmes herbacés et forestiers. C’est bien cette diversité, son origine et les rapports entretenus avec les actions humaines qui est au cœur de la réflexion portée par ce groupe de scientifiques.

Une carte trop générale

Le problème posé par la carte du WRI est le suivant. Les milieux herbacés ne varient pas seulement en fonction de leurs conditions écologiques intrinsèques. Ils diffèrent également selon le type d'occupation humaine, celle-ci pouvant remonter très loin. "Les paysages offerts par une partie de ces biomes herbacés ne résultent pas d’actions humaines et remontent à des millénaires voire des millions d'années, explique Grégory Mahy. Tout simplement parce qu'ils sont inhospitaliers pour l'homme en raison du passage régulier du feu, de leur composition géologique et pédologique (présence de composés toxiques) ou d'autres facteurs. D'autres biomes ont, eux, une origine anthropique très récente à l'échelle de l'Histoire, comme les savanes secondaires et les friches buissonnantes qui, dans certaines régions d'Afrique et d'Amérique du Sud ont remplacé la forêt tropicale défrichée intensivement par l'homme depuis le XXe siècle. D'autres enfin - troisième catégorie - sont des systèmes herbacés à origine anthropique, mais nettement plus ancienne. Cas d'école: le bassin Méditerranéen, dont le déboisement a commencé il y a près de 5.000 ans et qui a été soumis à une activité agro-sylvo pastorale qui s’est prolongée jusqu’à nos jours".

carte reforestation
Tout le problème est là: la carte du World Resources Institute place tous ces milieux dans le même sac. "Elle induit une confusion entre les écosystèmes issus de la dégradation forestière récente, ceux issus d'une dégradation nettement plus ancienne et ceux qui n'ont jamais connu la moindre couverture forestière. Or selon les données dont disposent nos institutions de recherches, les milieux herbacés anciens (‘old growth grassy biomes’) présentent une biodiversité exceptionnelle, unique au monde. Des programmes de reforestation intempestifs pourraient mener à des pertes biologiques irrémédiables. Pour d'autres, on manque de données. Il est donc nécessaire, à tout le moins, de les caractériser au mieux et de s'assurer que les services écosystémiques qu'ils rendent, en cas d'initiatives de reforestation, ne seraient pas réduits à néant".

Plantations intempestives

Pour appuyer leur démonstration, Grégory Mahy et ses collègues citent l'exemple des programmes de plantations menés ces dernières années en zone forestière sèche d’Afrique australe. Plantés massivement, des acacias d'origine australienne se sont mis à croître et à se disperser  rapidement. Ces nouveaux arrivants ont modifié le cycle des nutriments, le cycle de l’eau et les interactions au sein des écosystèmes telles que la pollinisation. Au détriment, en fin de compte, des activités humaines présentes dans ces régions mais aussi de la faune et de la flore. La démonstration des universités internationales ne s'arrête pas là. Personne ne sait, en fait, si les milieux herbacés ne jouent pas déjà un rôle non-négligeable dans la fixation du carbone qui surcharge l'atmosphère terrestre. "En zone herbacée tropicale, les plantes à fleurs - dites "xylopodes" - et les petits buissons se sont adaptés aux épisodes réguliers de destruction par le feu en développant une sorte de "cathédrale racinaire", constituée d'une matière ligneuse capable de descendre jusqu'à un ou deux mètres de profondeur. En réalité, il ne s'agit pas de vraies racines, mais de bois! Des études récentes suggèrent que ces capacités de stockage du carbone sont importantes et sont significativement modifiées lorsque ces milieux sont plantés d’arbres".

En zone tempérée, par exemple en Europe, on sait pertinemment que des écosystèmes herbacés aussi connus que les tourbières ont une capacité considérable de stockage du méthane (un autre gaz à effet de serre, au pouvoir "réchauffant" nettement supérieur au dioxyde de carbone). Mais il serait hasardeux de procéder à des déductions ou à des comparaisons avec les écosystèmes herbacés tropicaux à partir de telles connaissances. "Il est d'autant plus impératif de caractériser sans  tarder les milieux herbacés tropicaux, explique Grégory Mahy. Les connaissances, à ce stade, restent rares et parcellaires, particulièrement sur les zones "mixtes" intermédiaires entre les zones herbacées et les zones forestières, celles-là mêmes que la résolution trop grossière de la carte du WRI ne permet pas d'appréhender correctement. Sans cela, les programmes de reforestation risquent de confondre zones a-forestées - dépourvues de longue date ou de très longue date de toute couverture forestière - et dé-forestées - occupées par la forêt jusque récemment".

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