La Conférence des Nations-Unies sur le climat, qui se tient à Paris fin 2015, risque de donner un coup d'accélérateur décisif aux programmes de reforestation décidés ces dernières années par la communauté internationale. Planter des arbres revient en effet à favoriser la fixation du carbone par le processus de la photosynthèse. Mais des scientifiques s'émeuvent d’une mise en œuvre sans nuance de ces stratégies et tirent la sonnette d'alarme. Car on en sait trop peu aujourd'hui, estiment-ils, sur les milieux herbacés tropicaux - savanes, "cerrados", prairies, pelouses, voire forêts clairsemées... - pour lancer massivement de tels programmes sans une analyse régionale fine. Ils préviennent: sans connaissances plus approfondies, c'est la biodiversité qui risque de prendre un sérieux coup. Car les milieux herbacés anciens (‘old growth grassy biomes’) présentent une biodiversité exceptionnelle, unique au monde et des programmes de reforestation intempestifs pourraient mener à des pertes biologiques irrémédiables. Un avertissement lancé, notamment, par des chercheurs de Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège).
Selon le World Resources Institute (WRI), un think tank américain actif dans la recherche, il y aurait dans le monde 23 millions d'hectares susceptibles d'être replantés à des fins de reforestation environnementale, soit une superficie plus grande que l'Amérique du Sud toute entière. Une bonne nouvelle pour l'environnement? Oui, a priori, puisque de tels programmes permettraient à la fois de lutter contre le dérèglement climatique (la végétation ainsi créée permettrait, via la photosynthèse, de fixer progressivement le carbone de l'atmosphère) et de progresser vers la réalisation de ce qu'on surnomme le "Défi de Bonn". En septembre 2011, en effet, la communauté internationale avait décidé de se lancer dans un gigantesque programme de restauration de 150 millions d'hectares endommagés par la déforestation ou d'autres formes de dégradation des sols et des écosystèmes.
Mais il y a un hic, et de taille. La carte qui sert au WRI pour appuyer ses estimations, parue dans le magazine Science en 2014, est trop généraliste et peut induire la confusion auprès des gestionnaires des programmes de reforestation. Pire: elle pourrait amener à des décisions contre-productives, tant en matière de lutte contre le dérèglement climatique que dans le domaine de la protection de la biodiversité. C'est en tout cas l'option défendue par un groupe de scientifiques émanant d'une dizaine d'institutions universitaires européennes, nord et sud-américaines. Parmi elles, l'Université de Liège et, plus spécifiquement, l'Unité Biodiversité et Paysage de Gembloux Agro-Bio Tech.
L'expérience katangaise
Ce qui unit ces universités, c'est l'expérience accumulée de longue date dans l'étude - entre autres - des écosystèmes herbacés tropicaux. Gembloux Agro-Bio Tech, par exemple, dispose aujourd'hui d'une expertise mondiale dans l'étude des affleurements naturels riches en cuivre et en cobalt du Katanga (République démocratique du Congo, RDC). Il s'agit de milieux miniers rarissimes à l'échelle mondiale, colonisés par des communautés végétales très particulières. Cette expertise lui permet de conseiller les autorités locales et les exploitants miniers dans la mise en oeuvre de programmes visant à compenser les inévitables dégâts liés aux exploitations et, là où c'est possible, à restaurer les écosystèmes mis à mal.
Si le grand public voit généralement dans les savanes africaines l'exemple type de ces milieux herbacés, ces derniers sont en réalité bien plus variés que cette image d'Epinal, précisent Grégory Mahy et Soizig LeStradic, professeur et chercheur à l’Unité Biodiversité et Paysage, signataires, avec leur collèges internationaux d'une récente "letter" de mise en garde dans Science(1), en réponse à la carte publiée par le WRI. "Cerrados" ou "Pampas" en Amérique du Sud, "Savanes" en Afrique, « Prairies » en Amérique du Nord, "Pelouses calcaires" en Europe tempérée et même « forêts claires » tropicales: tels sont quelques-uns de ces biotopes herbacés - extrêmement polymorphes, donc - qu'on peut rencontrer à la surface de la planète toute entière. "La diversité de ces milieux naturels est très importante. Cela va de la pelouse courte, où la végétation ne dépasse pas quelques centimètres de hauteur et où pas un arbre ne peut se fixer, jusqu'aux forêts claires (comme la forêt tropicale sèche), en passant par des prairies ou des savanes à végétation herbacée grimpant jusqu'à 1,5 ou 2 mètres de hauteur".
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