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La banquise, grande consommatrice de dioxyde de carbone
04/06/2015

Un écosystème gigantesque et difficile d’accès

Mais le principal intérêt de Bruno Delille reste ce flux de CO2 entre la banquise et l’atmosphère. Très vite, son équipe cherche à déterminer la quantité de gaz que l’ensemble de la banquise peut absorber. Mais ils font face à un problème de taille. « La superficie de la glace de mer sur le globe varie entre 18 et 28 millions de kilomètres carrés, précise le chercheur. Pour donner un ordre de grandeur, c’est plus vaste que l’ensemble des terres cultivées. Les campagnes en Antarctique sont difficiles et onéreuses. On ne peut étudier que des petites régions. Nous avions cependant compris que la température de la glace contrôlait sa perméabilité au gaz, mais aussi la consommation de CO2 par les microalgues et les phases de formation et de dissolution du carbonate de calcium, des phénomènes consommateurs de dioxyde de carbone.  Il était dès lors possible d’établir de bons coefficients de corrélations entre les flux de CO2 et la température de la glace dans les régions que nous avions étudiées. Une équipe de Louvain-La-Neuve, qui a modélisé la banquise, nous a ensuite aidés à simuler la température sur toute la couverture de glace. Entre température et flux gazeux, nous avions donc une des deux données de l’équation. Nous pouvions extrapoler nos calculs à l’ensemble de la banquise. » Il en est ressorti, après plusieurs vérifications, que toutes les estimations convergeaient vers un même chiffre. La banquise Antarctique absorberait aux alentours de 30 megatonnes de CO2 entre le printemps et l’été, soit de 50 à 60% de ce qu’absorbe l’océan Austral chaque année.

cristaux glace

L’océan, immense réservoir de CO2

Pourquoi la banquise fait-elle un véritable festin de CO2 au printemps et à l’été ? Parce que le reste du temps, elle le consomme (voir « trois processus d’absorption » ci-dessous) ou l'expulse vers l'océan profond. Or, la glace et l’air, comme tous les grands ensembles qui se côtoient dans un écosystème, agissent d’une certaine manière comme des vases communicants, et cherchent un équilibre. Quand elle a expulsé le CO2 dans l’océan, la banquise est littéralement « en manque », et va le prélever dans l’atmosphère jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre soit trouvé.

Ce qui permet ce flux de CO2 lors des saisons plus chaudes, c’est la variation de température, qui rend la glace plus perméable. « La banquise, explique Bruno Delille, est composée de cristaux de glace pure, qui, eux, sont constitués d’eau douce et sont imperméables. Mais ces cristaux sont entourés de poches, des chéneaux de saumure, riches en sels où se développe l’activité biologique (microalgues…). En gros, c’est de l’eau de mer concentrée. Et c’est par ces chéneaux que les gaz de l’atmosphère sont absorbés. » Quand il fait très froid, une grande partie de ces chéneaux gèlent. Il n’y a plus de circulation de saumure, tout se fige, plus rien n’est connecté, la glace est imperméable. A l’inverse, quand le mercure monte, l’eau des cristaux de glace fond et augmente la quantité de saumure. De longs chéneaux parcourent toute la glace et permettent les échanges de gaz, de matières et de nutriments entre l’eau sous-jacente, la banquise et l’atmosphère.

Maintenant, ce CO2 consommé part bien quelque part. Un petit détour par le large est nécessaire avant d’en venir aux trois processus combinant cette expulsion. « Les océans absorbent énormément de dioxyde de carbone. On estime qu’ils ont absorbé à peu près 60% de ce qui a été rejeté par les activités humaines depuis le début de la révolution industrielle. Et chaque année, un tiers de notre production de CO2 part dans les océans. Ce qui a pour effet d’augmenter leur acidité, mais c’est un autre problème. » Plus on produit du CO2, plus les océans en absorbent, toujours pour cette fameuse question d’équilibre. Or, dans un premier temps, ce CO2 absorbé par l’océan se trouve dans la couche de surface, qui est rapidement saturée. L’équilibre est trouvé, et l’océan n’a pourtant pas encore absorbé beaucoup de gaz. Ce n’est qu’une fois que le gaz a migré vers les couches profondes que l’océan peut à nouveau en puiser. L’un des enjeux de l’océanographie est donc de comprendre comment ce CO2 descend vers les fonds marins.

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