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La banquise, grande consommatrice de dioxyde de carbone
04/06/2015

Alors qu’on pensait l’atmosphère et la glace de mer imperméables l’une à l’autre, la banquise absorbe chaque année des millions de tonnes de CO2 présents dans l’air. Des découvertes menées par des chercheurs belges, notamment de l’Université de Liège, qui intéressent de plus en plus la communauté scientifique. Elles contraignent les modélisateurs à repenser le rôle des glaces océaniques dans les questions environnementales liées aux gaz à effet de serre. Pour autant, ces recherches viennent de débuter et posent encore beaucoup de questions restées sans réponse. Par exemple, elles ne permettent pas encore d’établir l’influence qu’aurait la fonte des glaces sur le CO2 atmosphérique.   

Jusqu’il y a peu, la communauté scientifique était persuadée que la glace de mer était imperméable à l’atmosphère. En gros, qu’il n’y avait pas d’échanges de flux gazeux entre les deux ensembles. A l’inverse, l’air et l’océan, par exemple, sont perméables. Leurs compositions chimiques s’influencent et s’équilibrent à la manière de deux vases communicants. Depuis une décennie, des campagnes menées notamment par Bruno Delille, chercheur qualifié FNRS à l’unité d’océanographie chimique de l’Université de Liège, prouvent le contraire. La glace de mer, aux deux pôles, est bien perméable. Au printemps et en été, elle absorbe des millions de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) et rejette d’autres gaz à effet de serre, comme le méthane ou l'oxyde de diazote. Ces observations remettent en cause un paradigme et se répandent aujourd’hui à un niveau international. Une dernière publication apporte des idées particulièrement novatrices sur cette dynamique du CO2(1). Des idées qui devront être prises en compte par les modèles étudiant l’évolution des gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère.

Ces propriétés, Bruno Delille aurait bien pu ne pas les observer. « Durant ma thèse sur l’absorption du CO2 par l’océan Austral, j’ai discuté avec un chercheur qui m’a dit que la glace pouvait a priori échanger des gaz avec l’atmosphère. Tout le monde pensait le contraire, et je restais sceptique. En 1999, j’ai fait une première campagne de manière un peu artisanale, qui s’est révélée infructueuse, et je n’ai pas poussé les recherches plus loin ».

CO2 banquise

Une heureuse rencontre

En 2003, le jeune océanographe, alors installé à l’ULg, rencontre Jean-Louis Tison, un glaciologue de l’ULB qui soumet un projet ambitieux visant à étudier les gaz présents dans la glace de mer, mais aussi le cycle du fer, et l’étude d’autres composés biogéochimiques. « Le projet était très novateur, se souvient Bruno Delille. Personne ne travaillait sur les gaz dissous dans la glace. Personne ne s’y intéressait. Quant au fer, il faut le travailler très précautionneusement, du fait de la contamination très facile, mais l’étudier est intéressant car il contrôle la production primaire (les phytoplanctons) des océans. » Toujours est-il que Jean-Louis Tison a de la suite dans les idées. Le profil de Bruno Delille, qui a travaillé sur le CO2 dans l’océan Austral, l’intéresse. La collaboration est prometteuse, et les premières campagnes plus encourageantes que la tentative menée quatre ans plus tôt. Grâce à la technique de la chambre, ils observent qu’au printemps et en été, la glace absorbe du CO2 atmosphérique. « La technique de la chambre, c’est une grosse cloche que l’on pose sur la glace. Ensuite, on mesure la variation du taux de CO2 présent dans l’air qui y est confiné. Si la concentration en CO2 augmente, ça veut dire que du gaz est expulsé de la banquise. En revanche, une diminution signifie qu’elle en absorbe. Dans le cas présent, cette concentration a chuté. »

En 2007, ils publient un premier papier, et n’arrêteront pas depuis lors. Au fil des années, ils forment un véritable réseau de chercheurs sur la biogéochimie de la glace de mer et son implication sur le climat. Ils multiplient les campagnes, les publications et les conférences. Progressivement, d’autres scientifiques entrent dans la danse. Parmi eux, des modélisateurs de l’UCL spécialisés dans la physique de la glace de mer.

Les études sont nombreuses et variées. Car il n’y a pas que le CO2, qui est absorbé par la glace. D’autres gaz à effet de serre sont détectés. Le méthane, tout d’abord, et l'oxyde de diazote, qu’on y trouve à faible quantité, mais qui a un impact de réchauffement  300 fois supérieur au CO2. « Quant à l’étude du méthane, pointe l’océanographe, elle est particulièrement motivée par les recherches récentes menées sur la fonte du permafrost sous-marin en Sibérie, qui libère une énorme quantité de ce gaz. » Comprendre la dynamique des ensembles air-glace autour du méthane devient nécessaire pour mieux mesurer l’impact de son relargage dans l’atmosphère. Enfin, un autre gaz climatique, présent aussi dans les flux air-glace, attire aujourd’hui le regard des chercheurs : le diméthylsulfure (DMS). Le DMS n’est pas un gaz à effet de serre, au contraire. Il favorise l’apparition de nuages et augmente l’albédo terrestre. « Il permet de renvoyer une plus grande quantité de radiations lumineuses dans l’espace et contribue au refroidissement de la planète». 

[1] Bruno Delille, Martin Vancoppenolle, Nicolas-Xavier Geilfus, Bronte Tilbrook, Delphine Lannuzel, Véronique Schoemann, Sylvie Becquevort, Gauthier Carnat, Daniel Delille, Christiane Lancelot, Lei Chou, Gerhard S. Dieckmann, Jean-Louis Tison, Southern Ocean CO2 sink: The contribution of the sea ice, Journal of geophysical research, 2014

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