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Retraite professionnelle et maladie d'Alzheimer 
14/04/2015

Démêler l'écheveau

D'autres questions méritent d'être explorées. Il existe un lien entre retraite et fonctionnement cognitif de la personne âgée. Néanmoins, il est important de nuancer ces résultats par la prise en compte de différents facteurs qui pourraient jouer un rôle dans l'association.

On a observé notamment que l'effet de la retraite est plus marqué chez les hommes que chez les femmes(4). D'un point de vue social, et en généralisant, le travail constitue l’identité centrale de l’homme. Au moment de la retraite, les hommes passent « de tout à rien ». Cet effet est moins marqué chez la femme, qui a plus l’habitude de s’adonner à d’autres activités (les tâches ménagères et l'éducation des enfants, par exemple). « Il est à noter que cet effet ne sera certainement plus présent dans les générations futures », dit Catherine Grotz.

Le type de profession n'est probablement pas anodin non plus. « Deux études(5) ont mis en évidence, chez des sujets normaux, que l'effet négatif de la retraite ne persiste que pour les professions à col blanc, c'est-à-dire les professions de type intellectuel », indique Catherine Grotz. Cela peut se comprendre : une fois retraité, le travailleur manuel a davantage l'occasion de s'adonner, à travers ses loisirs, à des activités où la composante cognitive est plus affirmée que durant sa carrière de « col bleu ».

In fine, on peut se demander si l’effet de la retraite sur la cognition passe uniquement par le cerveau. Car si un plus grand nombre d’années de travail permet de le stimuler plus longtemps et participerait donc à la constitution de la réserve, des facteurs psychosociaux (sentiment d’utilité, estime de soi...) joueraient aussi un rôle (6). Une analogie avec les vacances peut être établie. Lorsqu’on travaille, on est alerte sur le plan cognitif : on gère différentes activités, la vie est rythmée par le travail et les jours de la semaine. Lorsqu’on planifie des vacances, on est empli de bonnes intentions et on prévoit de faire plein d’activités. Une fois arrivé sur le lieu de villégiature, il n’en est plus rien, on se relâche cognitivement et au bout de quelques jours, souvent on ne sait plus quel jour on est. Si l'on devait tester nos performances cognitives avant et après, il y aurait certainement une différence qui s’expliquerait par ce relâchement. L’effet du passage à la retraite est probablement similaire à celui des vacances. Chez le sujet retraité, le cerveau se relâche et ceci a certainement un impact sur la cognition.

« De plus en plus, on s'aperçoit que des facteurs non pas biologiques mais psychologiques et sociaux jouent sur la mémoire, fait remarquer Catherine Grotz. Nous pensons donc que la retraite peut également influencer le fonctionnement de la mémoire via ces facteurs psychosociaux. Les retraités sont la cible de certains stéréotypes négatifs, d'une forme d'âgisme dont on a pu montrer l’effet délétère sur la cognition. Par exemple, le simple fait d’activer des stéréotypes négatifs liés à l’âge (déclin cognitif avec l’âge et comparaison aux performances des sujets jeunes) a un impact sur les performances de mémoire du sujet âgé(7). Le nouveau retraité peut parfois avoir l'impression d'être moins utile et de représenter un coût pour la société, ce qui pourrait avoir un retentissement sur ses performances mnésiques. »

Catherine Grotz signale en outre qu'une étude(8) conduite par Ross Andel (University of Sough Florida) montre qu'un manque de stimulations intellectuelles au travail peut être compensé par des activités de loisirs caractérisées par leur richesse sur le plan cognitif, et vice-versa.

Alzheimer Retirement2Un autre point (parmi d'autres) mériterait d'être soulevé : quel est l'impact cognitif de la retraite selon qu'elle est volontaire ou imposée ? Bref, pour démêler l'écheveau des relations entre l'âge de la retraite et l'évolution des facultés cognitives, y compris l'émergence d'une démence neurodégénérative, il existe probablement une nuée de variables à prendre en compte. L'examen de l'influence respective de certaines d'entre elles est au cœur d'une des prochaines contributions scientifiques de Catherine Grotz.

(5) Coe N, von Gaudecker HM, Lindeboom M, Maurer J, 2009. The effect of Retirement on Cognitive Functioning, Netspar Discussion Paper 10/2009-044.
(6) Grotz C, Meillon C, Amieva H, Stern Y, Dartigues J-F, et al (soumis). Why is later age at retirement beneficial for cognition? Results from a French population-based study.
(7) Abrams D, Eller A, Bryant J. (2006) An age apart: the effects of intergenerational contact and stereotype threat on performance and intergroup bias. Psychology Aging 21:691-702.
(8) Andel R, Silverstein M, Kareholt I (2015) The role of midlife occupational complexity and leisure activity in late-life cognition. J Gerontol B Psycho Sci Soc Sci 70:314-21.

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