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Le droit de la nationalité en Belgique
09/02/2015

Un équilibre menacé ?

Panneau route BelgiqueCe qui précède rend compte d’un certain retour à l’équilibre. Une présentation équilibrée de la réforme requiert aussi de revenir sur les points plus litigieux. Par exemple, la réforme élargit les possibilités de déchéance de la nationalité. Jusqu’alors un citoyen pouvait être déchu de sa nationalité dans deux cas bien distincts : le manquement grave à ses devoirs(14) et lorsque l’acquisition de la nationalité avait été le fruit d’une tentative de fraude(15). Il fallait surtout que celle-ci ait été déterminante dans l’acquisition de la nationalité. La réforme a conservé ces deux hypothèses tout en élargissant la portée de la déchéance pour fraude en supprimant l’exigence du caractère « déterminant » de celle-ci dans l’acquisition de la nationalité. Il ne s’agit plus seulement de considérer la procédure de déclaration en elle-même mais également la « fraude à l’obtention du droit de séjour », en amont de la nationalité. Par ailleurs, un nouvel article 23/1 fait son apparition dans le Code. La déchéance peut venir sanctionner des comportements jugés très graves par le législateur (violations graves du droit international humanitaire, terrorisme, traite des êtres humains, certains crimes et délits contre la Sûreté de l’Etat). A côté de cette hypothèse, la déchéance peut être prononcée à la suite d’une condamnation à une peine d’emprisonnement de cinq ans « pour une infraction dont la commission a été manifestement facilitée par la possession de la nationalité belge ». Enfin, les mariages de complaisance rentrent dans le collimateur du législateur qui prévoit explicitement la déchéance pour le protagoniste qui aura acquis la nationalité belge grâce à ce mariage.

Il semblerait que ces dispositions ne soient qu’un début. « Le projet de gouvernement prévoit d’élargir encore la déchéance en visant les personnes impliquées dans des actions djihadistes à l’étranger. Je me demande comment cela va être formalisé, s’interroge Patrick Wautelet, car on ne peut pas viser dans un texte de loi ce qui se passe dans l’immédiat de l’actualité. Il faut être beaucoup plus général. Je pense par ailleurs que c’est inutile puisque le texte actuel permet déjà de déchoir de sa nationalité un individu impliqué dans de tels actes. Enfin, cela n’empêchera personne de partir, et cela pourrait même être contre-productif. En barrant la route du retour à ces personnes, la Belgique va  priver ces personnes d'une porte de sortie s'ils regrettent leur choix et désirent rentrer en Belgique ». A noter que dans ce cas, le projet prévoirait une procédure accélérée de déchéance. « C’est quand même frustrant de constater à quel point il est long de devenir Belge alors qu’on pourrait rapidement ne plus l’être ! Dans un Etat de droit, la justice doit être rapide pour tout le monde. »

Enfin, à noter que dans le registre de l’obtention de la nationalité, le gouvernement a annoncé son intention d’étendre la naturalisation ,ce qui paraît paradoxal au vu des objectifs de la réforme qui a justement le mérite de limiter la naturalisation à une procédure subsidiaire. Il s’agirait d’étendre la procédure aux personnes dotées de « mérites économiques ». Ceci figure dans l’accord de gouvernement. Comment ne pas faire le lien avec tous ceux qui s’installent en Belgique pour raisons fiscales ? Patrick Wautelet est formel dans tous les cas : « Si cela se concrétisait, ce serait une rupture avec l’esprit de la réforme par l’élargissement d’un pouvoir discrétionnaire du Parlement alors que le nouveau texte instaure plus de sécurité juridique et un trajet devant le juge. »

Nul doute que le droit de la nationalité en Belgique connaîtra encore de nouveaux développements. Ils vont de pair avec une époque qui renoue avec des Etats soucieux de leur souveraineté. L’exigence n’est plus « Sois Belge et intègre-toi » mais « Intègre-toi et sois Belge »(16). Encore faut-il avoir l’opportunité de s’intégrer et donc l’opportunité de séjourner en Belgique ce qui semble de plus en plus compromis. Ceux qui auront passé cette étape devront ensuite pouvoir fournir point par point les pièces administratives prévues par la réforme, ce qui constitue en soi un filtre car cela demande d’avoir le réflexe de conserver et d’archiver des documents. Quelles conséquences ? « En chiffres absolus, il y aura beaucoup moins de personnes qui vont devenir belges et parmi celles-ci il y aura une forte segmentation ». Les statistiques montrent déjà qu’il y a de toute façon moins de candidats à l’obtention de la nationalité : 3.111 acquisitions en 2013, entre 10.000 et 15.000 pour la période allant de 2003 à 2012. Or, si nous rappelions dans notre introduction que la nationalité est optionnelle dans un parcours d’immigré, elle n’en demeure pas moins un avantage, parfois non négligeable. Elle augmente très certainement les chances de décrocher un emploi. Elle permet de participer à la vie politique de son pays d’accueil. Enfin, elle ouvre les possibilités de circulation en Europe mais aussi dans la plupart des pays dans le monde. Pour toutes ces raisons, il était important de proposer une réforme tendant à l’équilibre comme il reste essentiel de le conserver maintenant au maximum.

(14) Article 23 du Code de 1984
(15) Article 23, §1, al.1 tel que modifié par la loi du 27 décembre 2006
(16) Selon le titre de l’article, Le Code de la nationalité belge version 2013. De « Sois Belge et intègre-toi » à « Intègre-toi et sois Belge… », D. De Jonghe et M. Doutrepont

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