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Les poissons fermiers
06/01/2015

Bruno Frédérich et Damien Olivier montrent également que ce ligament agit comme une contrainte à une évolution morphologique des mâchoires, et empêche par exemple une adaptation pour optimiser la capture du zooplancton. « Il faut savoir, explique Bruno Frédérich, que les espèces zooplanctonophages, au-delà des poissons-demoiselles, ont plusieurs stratégies pour capturer leurs proies. L’une d’entre elles consiste à réaliser une protrusion de la bouche. La mâchoire supérieure va être capable de coulisser vers l’avant. La bouche forme alors un véritable tube, qui permet au poisson de capturer sa proie sans trop approcher l’entièreté de son corps qui crée des perturbations dans l’eau alertant la proie qui s’échappe. Nous avons observé que les poissons-demoiselles qui ont perdu le ligament cérato-mandibulaire ont des modifications morphologiques adaptées à ce mode de capture. En d’autres termes, la disparition du ligament a permis une hyperspécialisation pour la zooplanctonophagie. »

Comment arrivent-ils à cette conclusion ? Dans cette publication, les auteurs ont divisé les 124 espèces étudiées en deux groupes, selon la présence ou non du ligament cérato-mandibulaire. Avec des méthodes de modélisation évolutive en biologie moléculaire couplées aux données fossiles, ils ont pu retracer leur phylogénie (voir arbre phylogénétique ci-dessus). Une fois cet arbre confectionné, ils pouvaient tester une série d’hypothèses. « Nous voulions vérifier si la disparition du ligament modifiait la vitesse d’évolution des groupes étudiés. Dans un premier temps, nous avons regardé si le ligament influençait la vitesse de spéciation, donc de multiplication des espèces. Mais il n’y a pas eu un boom évolutif, une explosion d’espèces au sein des différentes lignées qui avaient perdu leur ligament. Ce qui aurait été plausible. » Par contre, en s’attardant sur la vitesse de transformation morphologique pour le corps et pour deux pièces buccales : la mâchoire supérieure (prémaxillaire) et la mandibule, ils observent bien une différence importante. La morphologie des espèces sans ligament a évolué très rapidement, c’est-à-dire jusqu’à trois fois plus vite que la vitesse de variation morphologique de base des autres espèces, pour optimiser la chasse au zooplancton. Une évolution fonctionnelle, qui demeure au stade de l’hypothèse écomorphologique, mais que les chercheurs tendent à démontrer dans des recherches qui feront l’objet d’une prochaine publication.

Graphique 3D demoiselles

Les articles de Bruno Frédérich et de Damien Olivier ont deux approches différentes. L’une porte sur la morphologie et la phylogénie comparée, et embrasse un large éventail d’espèces, là où l’autre s’attarde sur le comportement d’une seule espèce. Mais finalement, les deux s’articulent et répondent autour d’une même finalité, celle de comprendre la diversification au sein d’une même famille de poissons, d’observer les causes et les conséquences de l’apparition de certains phénotypes, et d’analyser la manière dont la morphologie des poissons a pu être déterminante pour leur succès évolutif.

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