Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège. ULg, Université de Liège

Les poissons fermiers
06/01/2015

Poissons demoiselles morpho

Un autre régime alimentaire

Les chercheurs soulignent d’emblée que la perte de ce ligament n’est pas liée à un changement de vie par rapport à la proximité du récif. Certaines espèces qui en sont dépourvues ne s’en éloignent pas, à l’instar de la majorité des poissons-demoiselles. « Et même, quand on parle des espèces qui vivent dans la colonne d’eau, poursuit Damien Olivier, elles restent relativement proches des récifs, ne s’en éloignent que de quelques mètres, et n’évoluent que dans des eaux peu profondes. La nuit, elles retournent dormir parmi les coraux ou les anfractuosités rocheuses. L’évolution morphologique n’est donc pas liée à un changement d’habitat, mais à une spécialisation du régime alimentaire. » Habituellement, les poissons-demoiselles sont assez opportunistes quand il s’agit de manger, comme l’ont démontré les observations du jeune chercheur dans le cadre de sa thèse. En fonction des espèces, ils ont développé trois types de régime alimentaire. Un premier est constitué des algues attachées au substrat, un deuxième, de zooplancton dans la colonne d’eau, et un troisième qui regroupe toute une série d’espèces intermédiaires. « Ce que l’on remarque cependant, c’est que toutes les espèces sans ligament sont exclusivement zooplanctonophages. Au sein des espèces avec ligament, les trois types de régime sont observés. Au cours de l’évolution, certaines lignées passent de zooplanctonophage à algivore, et inversement. Mais une fois qu’ils l’ont perdu, ils ne broutent plus d’algues. Il semble ne plus y avoir de retour en arrière possible. »

Alors comment, au cours de l’histoire, ce ligament disparaît-il ? C’est une question qui reste sans réponse définitive, même si la logique des mécanismes de l’évolution permet d’émettre des hypothèses assez plausibles. « Ce n’est pas parce qu’un poisson pourvu du ligament a commencé à se nourrir exclusivement de zooplancton qu’il l’a perdu au cours de son évolution, intervient Damien Olivier. Il n’y aurait pas de causalité de ce type. Par contre, ce qui est possible, c’est qu’à un moment, par mutation génétique, un poisson soit né sans ce ligament et qu’il ait survécu en continuant de capturer le zooplancton, et qu’en se reproduisant, il ait transmis ses gènes, inaugurant un nouveau phénotype sans ligament. Adoptant au cours de l’évolution une morphologie nouvelle faisant d’eux de meilleurs chasseurs de zooplancton, les espèces sans ligament auraient pu perpétrer leur lignée et se diversifier. C’est une hypothèse que nous sommes en train de vérifier avec une nouvelle étude.» « Ou alors, poursuit Bruno Frédérich, il y a eu une sélection sexuelle par rapport au son. Peut-être que certaines femelles étaient plus attirées par une autre signature acoustique liée à l’absence du ligament, que l’espèce s’est reproduite plus souvent, et que ce phénotype a pu se perpétrer.

L’évolution morphologique plus rapide sans le ligament cerato-mandibulaire

La découverte du ligament et de son rôle dans l’alimentation des poissons-demoiselles permet de souligner sa présence comme une véritable adaptation fonctionnelle. Une innovation clé, qui a permis aux poissons-demoiselles de se frayer une place unique dans les récifs en adoptant ce comportement de fermier. En un peu plus de cinquante millions d’années, ils sont devenus parmi les poissons les plus largement représentés dans ces écosystèmes. Un succès en partie expliqué par ce trait morphologique.

Page : précédente 1 2 3 4 suivante

 


© 2007 ULi�ge