Ce recours n’est pas le seul : un autre a été introduit, cette fois concernant les mesures destinées à augmenter l’employabilité des travailleurs. Les griefs formulés par ses instigateurs (des particuliers) ne sont pas encore connus. Mais Fabienne Kéfer soulève un point qui pourrait faire débat. « Quand on licencie quelqu’un qui a droit à trente semaines de préavis, soit 9 à 10 ans d’ancienneté, on doit lui offrir un reclassement professionnel, rappelle-t-elle. Pour cela, l’employeur peut prélever 4 semaines de préavis. Si la personne bénéficiait d’un petit salaire, le patron devra mettre la différence de sa poche. Mais si elle touchait par exemple 10.000 euros par mois… Le travailleur en viendra à subventionner son propre reclassement. Alors qu’il fait peut-être partie d’une catégorie qui n’en a pas besoin pour retrouver du travail ».
Par ailleurs, le législateur est resté assez flou quant à la concrétisation de ces mesures sur le terrain entrepreneurial. Il a préféré botter en touche, laissant le soin aux partenaires sociaux de se montrer créatifs pour entamer les finitions.
Un autre aspect de la nouvelle loi a entraîné quelques soulèvements de sourcils. Celui lié à la motivation et à la définition d’un licenciement déraisonnable, qui est caractérisé par ces mots : « qui n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable ». Normal et raisonnable ? Les tribunaux devront trancher quant à la signification de ces adjectifs. En attendant, les avocats encouragent les patrons à prendre la plume : plutôt que de formuler des remarques oralement, il est désormais conseillé d’en laisser des traces écrites. Histoire de couvrir ses arrières si les choses tournent mal. De là à penser que les relations sociales vont s’en retrouver crispées... « Les plus grandes entreprises fonctionnent déjà comme cela, note toutefois Fabienne Kéfer. Cela va désormais se généraliser ».
Période oubliée
L’ouvrage porté par le jeune Barreau de Liège contient un chapitre portant sur le « période oubliée ». Soit celle courant du 9 juillet au 31 décembre 2013, du lendemain de l’ultimatum posé par la Cour constitutionnelle jusqu’au jour précédant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Quel régime appliquer aux travailleurs remerciés durant ce laps de temps ? L’ancienne réglementation, pourtant considérée comme anticonstitutionnelle après le 8 juillet ? Ou la nouvelle, qui n’avait pas encore été votée ? On n’aimerait pas être à la place des avocats qui ont ainsi dû guider à l’aveugle les employeurs…
Certains spécialistes s’interrogent enfin quant à la réelle opportunité de supprimer la clause d’essai, craignant que cette décision ait surtout comme conséquence d’éloigner toujours un peu plus la perspective de la signature d’un contrat à durée indéterminée. Au profit de sa variante à durée déterminée, voire de l’occupation sous statut intérimaire.
Tous ces points faibles doivent-ils cependant remettre la réforme en question ? « Si cette loi encourt diverses critiques, dont beaucoup sont justifiées, il ne faut pas, pour autant, occulter les avancées indiscutables. On aurait sans doute pu faire mieux et plus. Mais le monde ne s’est pas fait en un jour », écrit le professeur de droit dans son avant-propos.
Et de comparer l’harmonisation des statuts avec les discriminations entre hommes et femmes au travail, qui « n’ont pas non plus été éliminées d’un trait de plume législative ». Et qui, à certains égards, subsistent encore malgré tout. « Si une discrimination qui affecte la moitié de la population prend autant de temps à être éradiquée malgré les moyens employés pour y parvenir, peut-on espérer qu’il en aille autrement de la distinction entre cols bleus et cols blancs ? »
Le chantier de l’harmonisation reste en cours. Avant de pouvoir prétendre à son achèvement, il faudra encore entreprendre quelques profondes rénovations. Unification des conventions collectives de travail, rassemblement des représentations syndicales, remise à plat de la problématique du salaire garanti durant les 30 premiers jours d’incapacité, fonctionnement similaire en matière de pécule de vacances, adaptation des différentes juridictions du travail... Le législateur poursuivra-t-il les travaux d’initiative ou la Cour constitutionnelle devra-t-elle à nouveau jouer au contremaître ?