« À un niveau de comparaison international, nos ouvriers n’étaient clairement pas bien lotis, signale Fabienne Kéfer. Les préavis étaient trop courts, ce n’était pas digne. Ce rallongement devrait entraîner une plus grande stabilité d’emploi et un changement d’attitude de la part des employeurs, qui réfléchiront sans doute davantage avant de licencier. Quant aux employés, le préavis est certes raccourci, mais un renvoi reste coûteux ».
Bref, c’est la fin d’un grand écart historique, qui s’était creusé dès le début du XXe siècle. « Les ouvriers étaient les premiers en Belgique à avoir obtenu des avancées législatives, à l’extrême fin du XIXe siècle. Soit assez tard : en Angleterre, on le faisait depuis 50 ans… Leurs conditions de travail épouvantables se sont progressivement améliorées. Puis dans les années 1920, les employés ont commencé à réclamer des avantages. Et ils ont toujours obtenu beaucoup plus. Les différences criantes entre statuts se sont renforcées au fil du temps ».
La clause d’essai à la trappe
La loi du 1er janvier 2014 jette également le jour de carence aux oubliettes. Soit ce premier jour de maladie qui n’était pas payé… seulement lorsqu’on était ouvrier. Tout comme elle a fait de la période d’essai une histoire ancienne, sauf pour les étudiants, les travailleurs temporaires et intérimaires. Pour les autres, cette période de test qui pouvait s’étendre de sept à quatroze jours pour les ouvriers et d’un mois à un an pour les employés, lors de laquelle le collaborateur pouvait démissionner ou être licencié sans compensation, appartient au passé. À partir du moment où la durée des préavis était rabotée, ses jours étaient forcément comptés.
Le législateur a aussi profité de l’occasion pour apporter quelques modifications au droit du licenciement. Notamment l’instauration de mesures visant à stimuler l’employabilité de certains collaborateurs remerciés. Au plus tard pour 2019, les entreprises devront mettre en place des formations, des possibilités de reclassement ou une aide à l’établissement d’un projet de carrière. Le tout dans l’objectif de leur permettre de se réinsérer plus facilement sur le marché de l’emploi.
Autre évolution : les partenaires sociaux ont adopté une convention collective de travail en matière de motivation : aujourd’hui, même les employés peuvent demander au patron qui les a congédiés de leur communiquer les motifs, option qui n’existait avant que pour les ouvriers.
Enfin, dernier changement induit par la réforme : les différences de régime en matière de pensions complémentaires, c’est terminé. Ou du moins, ça le sera au plus tard pour le 1er janvier 2025.
Critiques à la pelle
Évidemment, autant de changements après autant d’années d’immobilisme ne pouvaient pas être épargnés par les critiques. « Dont beaucoup sont justifiées », confirme Fabienne Kéfer. Qui souligne un « poche d’inégalité » subsistante :
« une partie des ouvriers est laissée de côté ». Ceux qui travaillent dans la construction sont en effet soumis à un régime de dérogation. En clair, rien ne change pour eux quant à la durée des préavis, qui restent très (trop ?) courts.
Le législateur a-t-il voulu éviter de faire plus de mal que de bien à un secteur frappé de plein fouet par le dumping social ? S’agit-il d’une exception visant paradoxalement à stabiliser l’emploi en Belgique ? Sans doute. Toujours est-il que les dispositions organisant ce régime dérogatoire font l’objet d’un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle, introduit par la Confédération des syndicats chrétiens.