Covariance de turbulence
La deuxième originalité de l'approche réside dans le recours à la technique de covariance de turbulence pour mesurer le flux de CO2 échangé entre l’écosystème et l’atmosphère. Celle-ci s'appuie sur un appareillage en apparence assez rudimentaire,comprenant un anémomètre sonique tridimensionnel et un analyseur de gaz par absorption infrarouge installé au centre de la parcelle qui mesurent respectivement à haute fréquence la vitesse du vent et la concentration en CO2 de l’air, ce qui permet de déduire le flux net échangé entre l’écosystème et l’atmosphère.. Il présente en réalité l'énorme avantage de tenir compte de la variabilité tant temporelle que spatiale des flux de CO2. Bien que cette méthode de mesure exige un travail considérable de traitement des données ex situ, elle représente la technique la plus complète disponible à ce jour pour suivre en détail l'évolution à long terme des flux de gaz: de plusieurs mois à plusieurs années. Elle permet notamment de prendre en compte les épisodes particuliers d'émission ou de séquestration du CO2, par exemple lorsque l'intégralité des animaux de la pâture se concentre dans une sous-zone de celle-ci. Le dispositif de mesure est complété par une station micro-météorologique, ce qui permet d’étudier l’incidence des conditions climatiques sur les flux de CO2. Elle mesure la température et l’humidité à la fois de l’air et du sol, le rayonnement solaire, la pression atmosphérique et les précipitations. Ces variables constituent les principales composantes climatiques susceptibles d’influencer les flux.
Le premier résultat de cette étude, étalée sur trois années, porte sur la variabilité intra- et interannuelle du flux net de CO2. Sans surprise, la période de croissance active de la végétation, qui démarre dès le printemps, se caractérise par une grande accumulation de CO2 par l’écosystème. C'est évidemment la photosynthèse qui donne là tous ses effets. A partir du mois d'août, la baisse des températures et du rayonnement solaire réduisent - et finissent par stopper - l'assimilation de CO2 par le couvert végétal. "En automne, le flux net de CO2 est dominé par la respiration du végétal et du sol de l’écosystème, résume la jeune chercheuse. A partir de mars, la photosynthèse reprend le pas sur la respiration. A l'échelle annuelle, il est acquis qu'une prairie est un écosystème qui capte davantage de CO2 qu'il n'en émet. Dans le jargon des spécialistes, elle agit comme un puits de CO2. Dans notre cas cependant, qui porte sur trois années, la prairie étudiée se comporte en moyenne comme une légère source de CO2. Le bilan net annuel varie cependant fortement d’une année à l’autre, la prairie se comportant tantôt comme une source de CO2, tantôt comme un puits de CO2. Les résultats montrent que c'est probablement la gestion de l’agriculteur (fertilisation choisie et nombre d'animaux mis en prairie) qui, pour les trois années étudiées, serait responsable de cette forte variabilité, aucun impact significatif des conditions climatiques sur les flux de CO2 n’ayant pu être mis en évidence.". Autre observation bonne à signaler en matière d’émissions de CO2: le rôle joué par la respiration des animaux eux-mêmes est peu significatif dans le bilan: ceux-ci ne comptent que pour environ 10% de la respiration totale de l'écosystème.
Un bilan positif à nuancer
Le deuxième constat porte sur l'ensemble du bilan de carbone de la pâture: au terme des trois ans d'étude, et compte tenu des incertitudes, il s'est avéré neutre, ce qui signifie qu'en moyenne la prairie n'en a pas stocké dans son sol ni libéré dans l'atmosphère. Une surprise? Oui et non.
"Oui, d'abord, car une majorité d'études menées en Europe aboutit au constat que les pâtures absorbent en moyenne du carbone et que cette absorption compense une partie des émissions de gaz à effet de serre de la prairie. Dans notre cas, si on intègre au bilan de carbone les émissions de CH4 et celles de NO2 (ces deux gaz à effet de serre ont un pouvoir « réchauffant » sur l’atmosphère beaucoup plus important que celui du CO2), on arrive à un bilan de GES positif. Mais on peut également répondre qu'il ne s'agit pas d'une surprise car, selon les conditions pédoclimatiques (climat et sol) et le mode de gestion par l’agriculteur, le potentiel de stockage de ces écosystèmes peut fortement varier si bien qu’il n’est pas rare de voir des prairies se comporter certaines années comme des sources de carbone.".