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Le bal envahissant des ombrelles
17/11/2014

La reproduction : avec et sans sexe

Il est impossible de comprendre les variations annuelles ou interannuelles des populations de méduses – les fameuses proliférations – si l'on n'a pas compris, avant toute chose, leur morphologie et les différents stades de leur reproduction. « Chez ces animaux, dont la taille d'une colonie (ou super-organisme) mature excède rarement deux centimètres de longueur, il n'est pas toujours aisé de distinguer l'individu de la colonie elle-même », explique la jeune chercheuse. Dans une première étape, celle-ci a décrit (pour la première fois) l'ensemble du cycle de développement de l'espèce clé Chelophyes appendiculata. « Grosso modo, il se compose d'une première phase pendant laquelle  la colonie se développe, à partir de la larve, en faisant bourgeonner de jeunes individus  portant chacun un gastrozoïde (mangeur), une bractée (protectrice) et l'ébauche d'un gonophore (reproducteur). Au terme de cette première phase asexuée polygastrique, les bourgeons devenus matures sont libérés de la colonie initiale sous la forme d'individus indépendants, que l'on appelle les eudoxies. Ces dernières ne possèdent qu'un seul gastrozoïde et le gonophore mature produit des gamètes mâles ou femelles qui donneront la larve. Cette deuxième phase de la reproduction est dite « reproduction sexuée monogastrique »

prélèvements CalviL'étape suivante du travail a consisté à établir les fluctuations annuelles et interannuelles des populations sur base des échantillons pêchés chaque semaine en baie de Calvi entre 2003 et 2013. « Pour traiter de tels écarts de valeurs pour des variables biologiques, j'ai utilisé la méthode des études d'anomalies et des courbes standard. Pour faire bref, cette méthode statistique a consisté à établir des moyennes, puis des moyennes de moyennes, à partir des 600 échantillons de zooplancton récoltés». En comparant les résultats ainsi obtenus avec les données relatives aux différentes paramètres biotiques et abiotiques examinés (parmi lesquels la température, la vitesse du vent, l'abondance de zooplancton, la concentration en chlorophylle a dans la colonne d'eau ), la chercheuse liégeoise s'est d'abord aperçue que la température de la mer a un effet positif direct sur la reproduction asexuée : plus la température augmente, plus les gonophores sont nombreux, ce qui favorise la reproduction de Chelophyes appendiculata.  Elle a ensuite observé que la température de l'eau a un effet négatif indirect sur la reproduction asexuée via la cascade trophique. Cela signifie que plus la température augmente, plus faible est la production de phytoplancton. Très logiquement, le zooplancton diminue à son tour, entraînant in fine une diminution des gonophores.

Une première en Méditerranée

Ces corrélations étroites entre l'abondance de phytoplancton et celle du zooplancton et puis celle des méduses peuvent paraître logiques. Encore fallait-il expliciter cette ''cascade trophique''- ce qui n'avait jamais été fait pour cette espèce et en Méditerranée - mais surtout la situer dans le temps. On observe en effet un délai d'un mois entre le maximum de chlorophylle a (en mars) et celui du zooplancton (en avril). Puis, un autre délai d'un mois entre l'abondance maximale de zooplancton et celle de Chelophyes (en mai). Restait à décrire avec précision le mécanisme de déclenchement de cette réaction en chaîne depuis le phytoplancton à la fin de l'hiver, de février à début mars et jusqu’au stade des méduses. C'est ainsi qu'en hiver, plus précisément de décembre à février, les vents sont plus importants que le reste de l'année. Ils brassent donc la colonne d'eau et remettent en suspension les sels nutritifs indispensables à la croissance du phytoplancton. « On peut en conclure que le vent exerce, lui aussi, une influence positive indirecte sur la production asexuée des Calycophores, conclut Amandine Collignon. Et, plus largement, que leur cycle de développement dans la baie de Calvi s'insère dans la séquence saisonnière des événements de l'écosystème planctonique ».

Précision importante et… quelque peu inquiétante. La thèse d'Amandine Collignon a également porté sur l'analyse d'échantillons de zooplancton capturés dans les eaux de surface de la baie de Calvi et ailleurs en Méditerranée occidentale. Or ceux-ci révèlent que les méduses, comme d'autres animaux marins locaux, sont  largement contaminées par des résidus de microplastiques.  Et pas un peu ! Près de 40 % des stations échantillonnées de 2010 à 2014 contenaient des particules synthétiques, dont la taille variait entre 0,3 et 5 millimètres: polystyrène, filaments, résidus de films plastiques, etc. « Les méduses sont des animaux fragiles, se désole la chercheuse. Ces fragments, elles les ingèrent. La recherche commence seulement à s'intéresser à ce phénomène sur le plan mécanique, et on ignore à peu près tout de ses impacts physiologiques, notamment de son éventuelle incidence sur le cycle de reproduction des Cnidaires, ce qui n'est pas tout à fait le cas pour d'autres animaux. L'autre aspect inquiétant, c'est que la baie de Calvi, réputée jusqu'à présent pour la qualité de son écosystème, n'est pas à l'abri des accumulations de plastique. Les fragments ont tendance à s'accumuler dans les gyres (tourbillons d'eau) au fond des baies et à ne jamais pouvoir se disperser. Sauf lorsque des algues viennent se fixer à leur surface et les font couler à grande profondeur. Mais avec quels effets sur l'ensemble de l'écosystème ? Mystère…. »

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