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Les gardiens du droit européen
12/11/2014

Le principe de primauté du droit de l’UE a été proclamé expressément dans un article du Traité constitutionnel européen… non adopté suite aux refus de la France et des Pays-Bas. Dans son ouvrage, Melchior Wathelet souligne que si la phrase du Traité constitutionnel proclamant ce principe a disparu du Traité de Lisbonne, les Etats membres ont adopté une déclaration annexe indiquant que rien n’était changé au principe de primauté du droit européen proclamé par la Cour de Justice. « Il existe une certaine schizophrénie de la part des Etats : ils acceptent la primauté du droit européen et la jurisprudence de la Cour de justice à cet égard… mais comme ça les gêne encore un peu, ils refusent de le dire ouvertement, et préfèrent placer cela dans une déclaration annexée au traité de Lisbonne (2) alors que les déclarations sont des textes purement politiques, sans force juridique obligatoire, même si, lorsqu’elles sont signées par tous les Etats, elles indiquent politiquement une volonté commune claire ».

De nombreux arrêts de la Cour de justice ont des conséquences importantes dans la vie quotidienne des citoyens européens : égalité de traitement et droits sociaux, libre prestation des services, droit de séjour, etc. En 1991, dans l’arrêt Francovich, elle affirme une notion fondamentale : la responsabilité d’un Etat envers les particuliers pour les dommages qu’ils auraient subis suite à une violation du droit européen par cet Etat. Depuis lors, les citoyens européens peuvent intenter une action en réparation contre l’Etat coupable d’une telle négligence. Un grand nombre d’arrêts concerne le domaine de la libre circulation des personnes. L’un des plus célèbres est l’arrêt Bosman, dans lequel la Cour indique que le sport professionnel est une activité économique qui ne peut être entravée par des règles entravant le transfert international des joueurs ou limitant le nombre de joueurs ressortissants d'autres Etats membres.

Une amende de 10 millions d’euros pour la Belgique

Les Etats qui ne transposent pas correctement les directives européennes dans leur législation nationale peuvent être poursuivis devant la Cour de Justice par la Commission européenne (à travers une procédure dite de « manquement »). Il arrive souvent qu’une première condamnation en manquement n’incite guère les Etats à se conformer au droit européen, dans la mesure où elle n’est assortie d’aucune sanction. Depuis 1992, les Etats qui persistent à ignorer le droit européen peuvent être sanctionnés financièrement par une condamnation en « double manquement » prononcée par la Cour de Justice. Plusieurs Etats ont été condamnés à de lourdes astreintes ou amendes : la Grèce, l’Espagne, la France, le Portugal, l’Italie, l’Irlande, le Luxembourg et pour la première fois la Belgique le 17 octobre 2013. Dans un premier arrêt du 8 juillet 2004, la Cour avait constaté que la Belgique enfreignait une directive de 1991 relative au traitement des eaux urbaines résiduaires. Les progrès réalisés par les Régions (compétentes en cette matière) n’étant pas été assez rapides, la Belgique a été condamnée en 2013 à payer au budget de l’UE la somme de 10 millions d’euros, ainsi qu’une astreinte de 859.404 euros par semestre de nouveau retard dans la mise en œuvre du programme d’épuration des eaux urbaines résiduaires.

La Belgique demeure un « élève moyen » parmi les Etats membres dans l’application du droit européen. « Le meilleur élève dans ce domaine est le Danemark, note Melchior Wathelet. Le Royaume-Uni est aussi un pays qui se distingue par son respect des législations européennes. Il n’aime pas s’y associer, mais quand il les accepte, il les respecte. Avant 1990, les Anglais reprochaient d’ailleurs à certains Etats d’aimer les législations européennes mais de ne pas les respecter. Ils sont à l’origine de la réforme de 1992 permettant d’imposer des sanctions financières à un Etat condamné pour une violation du droit européen qui n’adapte pas sa législation. C’est rare que les Anglais demandent un renforcement des pouvoirs d’une institution européenne, en l’occurrence de la Cour de justice ».

Influence de l’euroscepticisme

Melchior Wathelet relève que l’euroscepticisme grandissant a sans doute une influence sur la jurisprudence de la Cour, « laquelle est peut-être plus attentive à sa légitimité que dans les périodes où l’intégration européenne soulevait l’enthousiasme ». « En théorie, les juges ont un métier « objectif » : ils doivent appliquer et interpréter le droit. La vie réelle est toutefois plus imaginative que ce que les législateurs peuvent prévoir. Lorsque des textes juridiques ne correspondent pas bien aux situations qui leur sont soumises, des juges (nationaux ou européens) doivent non seulement les interpréter mais aussi combler leurs lacunes car sous peine de déni de justice, les juges doivent trancher, même en l’absence de texte législatif ou règlementaire. Or, les juges sont plongés dans la réalité du moment. En Belgique par exemple, les textes pénaux réprimant la pédophilie n’ont pas changé mais face à des situations de délinquance identiques, les juges actuels seront beaucoup plus sévères que ceux de 1980 car nous avons connu l’affaire Dutroux. Au niveau des juges européens, lorsque vous vivez durant l’euro-enthousiasme des années 60, vos conceptions, votre méthode d’interprétation, votre appréciation de la vie sociale sont différentes de celles de 2014, plongé dans l’euroscepticisme ».

(2) La déclaration 17, relative à la primauté, qui stipule que selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, les traités et le droit adopté par l'Union sur la base des traités priment le droit des Etats membres, dans les conditions définies par ladite jurisprudence.

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