Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège. ULg, Université de Liège

Les gardiens du droit européen
12/11/2014

Le droit européen a une influence de plus en plus grande sur les législations nationales, suscitant l’ire des eurosceptiques. C’est la Cour de Justice, basée à Luxembourg, qui est chargée de la mission délicate d’en assurer le respect, en collaboration avec les juges nationaux. Sa jurisprudence a introduit des principes fondamentaux dans le fonctionnement de l’Union européenne. Un nouvel ouvrage (1) de Melchior Wathelet, avocat général auprès de la Cour, détaille l’architecture juridictionnelle très spécifique de l’Union européenne.

COVER contentieux europeen-1Créée en 1952, la Cour de justice est l’autorité judiciaire de l'Union européenne (UE). Elle contrôle la légalité des actes des institutions européennes et veille au respect du droit européen par les Etats membres. A la demande des juridictions nationales, elle a aussi pour mission d’interpréter ce droit, afin d’en assurer une application homogène. Ces demandes d’interprétation passent pas des questions préjudicielles envoyées par les juges nationaux lorsqu’ils ont un doute sur la manière d’appliquer une norme européenne.

Le nouvel ouvrage publié dans la collection de la Faculté de droit de l’Université de Liège décrit en profondeur le fonctionnement de la Cour de Justice et les recours dont elle peut être saisie. L’auteur principal, Melchior Wathelet, professeur à l’Université de Liège, est l’un des neuf avocats généraux à la Cour de justice, qui compte également 28 juges (un par Etat membre). Il explique dès les premières pages que l’application du droit de l’UE fait avant tout appel aux cours et tribunaux nationaux, afin d’éviter l’engorgement de la Cour. « Le génie du système européen est que le premier juge du droit européen est le juge de Liège, d’Athènes ou de Lisbonne, en appliquant la jurisprudence de la Cour de Justice qui s’élabore année après année. Cette jurisprudence est bien connue des juges, même dans les pays qui ont rejoint plus récemment l’UE, car les juges roumains, bulgares ou chypriotes ont déjà intégré la jurisprudence ancienne de la Cour ».

La Cour décide de la primauté et de l’effet direct du droit européen

La jurisprudence de la Cour de justice a introduit quelques principes fondamentaux dans le fonctionnement de l’Union européenne. Ainsi, dès 1963, dans l’arrêt Van Gend en Loos, elle proclame l’effet direct du droit européen, c’est-à-dire le droit pour chaque justiciable, qu’il soit citoyen ou entreprise, d’invoquer directement ce droit européen devant un juge lorsqu’il est en litige avec son Etat ou avec une autre personne physique ou morale. Alors que le traité prévoyait très clairement que les droits de douane étaient interdits entre les Etats membres, l’entreprise Van Gend en Loos s’était vu réclamer pareils droits de douane lors du franchissement de la frontière belgo-néerlandaise. Sans évidemment contester l’existence du texte, les Pays-Bas avaient défendu la thèse que ce texte du traité n’était finalement que l’équivalent d’une convention entre Etats et qu’il ne liait dès lors entre eux que les signataires de ce traité, à savoir les Etats eux-mêmes sans que cela ne leur crée d’obligations vis-à-vis des citoyens ou des entreprises. Cette négation de l’effet direct était la règle en droit international classique mais la Cour de justice a jugé qu’en raison de la spécificité du nouvel ordre juridique européen, de la création d’une nouvelle communauté de droit, l’effet direct devait devenir la règle et non plus l’exception sous peine de voir le système s’effondrer.

Dès l’année suivante, en 1964, dans l’arrêt Costa c. Enel, la Cour établit la primauté du droit européen sur les législations internes des Etats membres. Il aura donc fallu attendre une décision judiciaire pour faire reconnaître la supériorité du droit international sur le droit national. Etonnant ? « La primauté du droit européen sur le droit national n’est pas quelque chose d’automatique alors que ce devrait être le cas, note Melchior Wathelet. Les Etats sont des êtres juridiques très particuliers. Ils n’ont pas la même conception juridique du respect des droits et des engagements que celle qu’ils imposent à leurs citoyens. En droit, de manière générale, on ne peut pas introduire de clauses potestatives dans les contrats. Le locataire d’un bien ne peut par exemple spécifier dans un contrat qu’il paie le loyer « s’il le veut bien ». En droit international par contre, lorsqu’un Etat signe un traité avec d’autres, il estime que si par la suite l’une de ses lois nationales contrevient au traité, elle primera dans leurs relations. Cette étrangeté est le propre du droit international, et l’une des innovations de la Cour de justice est d’avoir affirmé dès 1964 que dans la Communauté européenne, on ne peut accepter ce genre de règle. La Communauté ne peut fonctionner que si tout le monde reconnaît la primauté de la règle acceptée en commun. Il y a eu des réticences de la part d’Etats et de certaines Cours suprêmes face à cette primauté, mais elle est aujourd’hui acceptée ».

(1) Contentieux européen (2 volumes) ; Melchior Wathelet, avec la collaboration de Jonathan Wildemeersch ; Collection de la Faculté de droit de l’ULg ; Edition Larcier.

Page : 1 2 3 suivante

 


© 2007 ULi�ge