Délaissée jusqu’il y a peu par la mondialisation, l’Afrique suscite actuellement l’appétit de puissances émergentes (Chine, Brésil, Inde, Russie, Afrique du Sud, Turquie). Elles gagnent des parts de marché au détriment des pays occidentaux et contribuent par leurs stratégies à une évolution des rapports de force sur le plan global. Le nouvel ouvrage (1) écrit sous la direction de Sebastian Santander, responsable du Centre d’études pour les relations internationales (CEFIR) de l’Université de Liège, analyse en profondeur ces changements.
Les rapports entre pays émergents et l’Afrique sont anciens. Dans l’introduction de son ouvrage, Sebastian Santander, responsable du Centre d’études pour les relations internationales de l’ULg, relève que la Russie, la Chine, l’Inde et le Brésil avaient établi des relations étroites avec plusieurs pays africains dans le contexte de la décolonisation, de la confrontation Est-Ouest de l’après-guerre et de la recherche, durant la guerre froide, d’un rééquilibrage des rapports de force économiques entre le Nord et le Sud. Dans les années 1980, l’Afrique a été reléguée au second plan par ces pays pour des raisons d’ordre interne. La Chine était concentrée sur les réformes qui devaient la transformer en économie socialiste de marché, Moscou cherchait une solution au déclin de l’URSS, l’Inde et le Brésil étaient confrontés à de sérieux problèmes économiques.
Plusieurs raisons expliquent le retour en force des pays émergents en Afrique au début des années 2000. Sebastian Santander en cite quatre principales : la convoitise envers les ressources naturelles africaines (cobalt, cuivre, hydrocarbures, bois, diamants, charbon, fer) ; la volonté de s’ouvrir de nouveaux marchés, les taux de croissance affichés par certains pays africains (comme l’Angola, l’Ethiopie, le Mozambique et le Rwanda) étant un facteur d’attraction pour les investisseurs étrangers ; la recherche d’appuis ou d’alliances dans les négociations internationales ; la nécessité pour les pays émergents d’accentuer leur périmètre d’influence, leur visibilité et leur reconnaissance internationales.
Progression foudroyante de la Chine
La Chine est le pays émergent qui a le plus massivement investi en Afrique, au point de devenir le premier partenaire économique du continent noir, devant les Etats-Unis et les pays européens. Les Chinois ont investi plusieurs milliards d’euros dans l’exploitation des ressources naturelles africaines. L’ouvrage coordonné par Sebastian Santander relève que le commerce bilatéral entre la Chine et l’Afrique est passé de 12,3 milliards de dollars en 2002 à 162 milliards en 2011. Quelque 2.000 entreprises chinoises (publiques et privées) sont implantées sur le continent africain.
La place grandissante de la Chine en Afrique suscite de plus en plus de critiques sur le continent noir. L’un des reproches porte sur la propension des entreprises chinoises à importer énormément de travailleurs chinois en Afrique et à proposer des conditions d’emploi désastreuses à la main-d’œuvre locale. Le déferlement en Afrique de produits de consommation à bas prix venus de Chine énerve également les populations locales, qui tiennent cette invasion pour responsable de la ruine des productions régionales.
Les contrats signés au plus haut niveau ne sont pas toujours à l’avantage des Africains. « En République Démocratique du Congo par exemple, de plus en plus de voix dénoncent les termes des contrats signés par les entreprises chinoises dans le secteur minier, note Sebastian Santander. En échange de la construction d’infrastructures (routes, hôpitaux, chemins de fer), les Chinois obtiennent l’exploitation de très importantes ressources minières. Ces infrastructures sont utiles à la population (et au transport des produits miniers), mais les bénéfices retirés par les entreprises chinoises sont largement supérieurs aux retombées pour les Congolais. Ce type de contrat perpétue une relation Nord-Sud traditionnelle : on extrait des ressources naturelles pour les exporter, mais on ne produit presque rien dans le pays. Certains décideurs politiques africains commencent aussi à tenir des discours critiques à l’égard de la Chine. Le gouverneur de la banque centrale du Nigeria et un haut dignitaire du gouvernement zambien ont présenté la Chine comme une sorte de néo-colonisateur ».
(1) « L’Afrique, nouveau terrain de jeu des émergents ». Sous la direction de Sebastian Santander. Editions Karthala. 2014. L’ouvrage réunit la collaboration d’une quinzaine de chercheurs et professeurs issus d’universités européennes, africaines et latino-américaines.