La fée électricité, toujours pleine de mystères
Maintenant, pourquoi, au cours de leur évolution, certaines espèces ont-elles ressenti le besoin de développer un muscle électrique ? « Ici encore, nous ne pouvons qu’élaborer des hypothèses, car nous ne faisons pas de l’éthologie. Nous n’essayons pas de comprendre pourquoi ils utilisent une telle propriété, mais réalisons des hypothèses sur le processus évolutif. Nous ne pouvons même pas attester que la production de décharges électriques est l’évolution de la production de sons, même si je pense que c’est plus plausible que l’inverse car dans ce groupe de poissons, plus d’espèces sont capables de produire des sons. C’est toujours plus facile de prendre une structure préexistante et de la transformer pour lui donner une nouvelle fonction que de créer un nouvel organe. Le développement normal d’un muscle favorise la production de myofibrilles. Dans ce cas-ci, un simple dysfonctionnement lors de la croissance aurait bloqué cette production. Cette modification dans le développement, probablement couplée à d’autres, aurait alors amené le développent de muscles capables d’émettre de l’électricité de manière volontaire. Certaines espèces se sont spécialisées dans cette voie tandis que d’autres ont gardé la dualité de la fonction des muscles protracteurs. Mais pour attester définitivement que l’électricité est une évolution du son chez les poissons-chats, nous devrions poursuivre des études de phylogénie. »
Dans le cas où les décharges électriques seraient une évolution de la capacité à produire du son, cela signifierait que l’espèce a rencontré des limites dans ses tentatives de communiquer. « Quand les poissons vivent dans des eaux troubles ou agitées, comme les rivières d’Afrique, l’habitat naturel des Synodontis, leur visibilité est fort altérée. Ils doivent donc développer d’autres sens s’ils veulent se retrouver pour se reproduire, ou, détecter leurs proies ou leurs prédateurs. La production de sons est une première alternative. Or, nous avons remarqué que les sons émis par les différentes espèces étudiées étaient relativement similaires et confondables (voir illustration ci-dessous). Pour peu que le milieu soit en plus bruyant, les poissons ont alors plus de difficultés à se reconnaître entre eux. » L’absence de visibilité et le bruit sont donc deux facteurs qui auraient pu mener les Synodontis à utiliser l’électricité. Et à l’inverse des sons qu’ils produisent, les Synodontis émettent des ondes électriques différentes selon l’espèce. Ils sont donc davantage capables de se reconnaître à l’aide de l’électricité que du son.
![Synodontis cellules musculaires. Synodontis cellules musculaires]()
Les chercheurs ont eu l’ambition de découvrir l’émission d’électricité chez les Synodontis et d’en comprendre les rouages. Les objectifs sont atteints. Mais bon nombre de questions restent sans réponse. Est-ce réellement une évolution du son ? L’électricité a-t-elle une simple fonction de communication ou plutôt permet-elle au poisson de s’orienter, un peu à la manière d’un radar ? Ces poissons sont-ils pourvus de cellules électrosensibles sur la peau, qui leur permettrait la réception de ces signaux ? L’électricité chez les poissons reste à l’heure actuelle chargée de mystères. « D’autant que c’est un sens que l’on ne peut pas comprendre, conclut Eric Parmentier. L’ouïe, la vue, nous en sommes pourvus. Mais l’électricité, absolument pas. Dès lors, on peut mesurer son émission en aquarium à l’aide d’électrodes, on peut analyser les caractéristiques physiques de ces signaux. Mais après, nous ne savons absolument pas quel est le ressenti de l’animal vis-à-vis de ce sens. De belles études sont encore à mener. »