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Ces poissons qui ont découvert l’électricité
23/10/2014

Plusieurs espèces de poissons-chats (Mochokidae) sont capables de produire du son et de l’électricité, probablement pour communiquer. C’est ce que viennent d’observer des chercheurs de l’Université de Liège. En étudiant cinq de ces espèces, ils ont remarqué qu’un seul muscle ayant évolué de différentes manières s’est spécialisé pour cumuler les deux propriétés. Entre deux cas extrêmes où l’un des poissons produit du son et pas d’électricité et l’autre l’inverse, un panel d’espèces intermédiaires a préservé les deux moyens de communication. Une belle étude qui trace un chemin biologique permettant de comprendre comment au cours de l’évolution, certains poissons ont pu découvrir l’électricité.

Il est aujourd’hui de notoriété publique que beaucoup de poissons émettent des sons qui ont une fonction de communication pour, par exemple, la défense du territoire ou le comportement de cours. Ils ont aussi développé un système auditif performant, au demeurant bien pratique pour taper la causette. Mais parfois, cette fonction ne suffit plus et peut être rendue caduque par l’environnement. Plusieurs espèces ont développé d’autres moyens de communication et ont ainsi évolué de manière à pouvoir émettre des signaux électriques, à l’aide des électrocytes. Tout le monde a déjà entendu parler des anguilles électriques, par exemple. 

Mais elles sont loin d’être les seules à avoir joué les Benjamin Franklin aquatiques. Et bon nombre d’espèces ont encore bien des secrets à livrer à ce sujet. Parmi elles, certains poissons-chats comme les Synodontis. Eric Parmentier, chargé de cours et directeur du Laboratoire de Morphologie Fonctionnelle et Evolutive à l’Université de Liège, a proposé à Kelly Boyle, alors post-doctorant au sein de son laboratoire, de se pencher sur ces espèces. Il en ressort une étude fascinante sur l’évolution morphologique des poissons dotés de l’électricité (1).

Du son à l’électricité

« Nous travaillons depuis plus de dix ans sur l’émission des sons chez les poissons, explique le chercheur. Dans le cadre de cette étude, nous voulions initialement comparer la production de sons chez certaines espèces de Synodontis. Elles présentaient des différences anatomiques, et nous voulions vérifier comment ces variations pouvaient interférer dans la production de sons. Et quelque chose m’a intrigué avec l’une des espèces. Elle présentait tous les éléments anatomiques pour émettre du son, et pourtant, on n’entendait rien. Alors que les autres poissons se montraient bien plus bavards. Parallèlement, nous avions lu, dans une publication qui datait des années 1990, que certains poissons-chats produisaient de l’électricité, mais sans plus de précisions. Nous avons décidé de placer des électrodes dans l’aquarium. Et tout est devenu beaucoup plus intéressant. » Car effectivement, le poisson, plutôt prédisposé à produire du son, émettait en fait des décharges électriques. Emporté par l’hypothèse que certains poissons-chats pouvaient dès lors cumuler les deux propriétés, Kelly Boyle a observé un panel de cinq espèces de Synodontis.

L’une d’elles n’émettait aucun son, mais bien des décharges électriques. A l’opposé, une autre n’émettait que des sons. Trois espèces étaient capables des deux. Un panel évolutif varié pour des espèces d’un même genre. « Emettre de l’électricité, ça n’arrive pas à tout le monde. Et là, nous avions en plus la chance de pouvoir découvrir un chemin biologique qui montrait comment y parvenir. »

Un seul muscle pour deux fonctions

Assez rapidement, le jeune post-doctorant remarque que les poissons cumulant les deux propriétés ne peuvent les émettre en même temps. Soit ils produisent un son, soit un signal électrique, mais jamais simultanément, comme se souvient Eric Parmentier. « Nous avons donc imaginé que le muscle qui produisait le son pouvait également être sollicité pour produire l’électricité, ce qui s’est avéré être le cas. En bloquant l’activité de ce muscle chez certains candidats, nous avons remarqué qu’ils n’émettaient plus d’électricité ».

Chez les Synodontis, le muscle à l’origine du son est le muscle protracteur . Ce muscle rapide, qui peut se contracter et se relâcher jusqu’à cent fois par seconde, est relié à une plaque osseuse se trouvant à l’avant de la vessie natatoire. De la même manière qu’un ballon ou une bouée, cette vessie est une poche remplie d’air dont le premier rôle est la stabilisation du poisson entre deux eaux. Quand le muscle protracteur se contracte, la vessie s’étire. Et quand il se relâche, elle reprend sa forme initiale. L’alternance rapide des cycles  contractions - étirements entraînent la formation des vibrations à l’origine du son.. . Tous les poissons n’ont pas cette manière de produire du son. C’est en tout cas le processus développé chez les Synodontis étudiés. 

(1) Kelly Boyle, Orphal Colleye, Eric Parmentier, Sound production to electric discharge : sonic muscle evolution in progress in Synodontis spp. catfishes (Mochokidae), Proceedings of the Royal Society, 2014.

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