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Après Fukushima, la vie préfabriquée
16/10/2014

Minami-SomaTout est donc fait, dans les camps, pour donner une apparence de normalité, et l’on en viendrait presque à oublier que les maisons sont préfabriquées et construites à la hâte. Les camps font aujourd’hui partie intégrante des villes et villages dans lesquels ils sont installés, et les évacués se sont mêlés à la population, tout en continuant de porter le label d’évacués de Fukushima comme un stigmate. Le camp lui-même, on l’a dit, n’est pas nommé comme tel : c’est un abri, comme s’il s’agissait d’effacer la logique de confinement et d’y substituer une logique de protection.

Au sein des habitants des camps, une inégalité supplémentaire s’opère entre ceux qui peuvent envisager la perspective d’un retour, et ceux qui ne le peuvent pas, ou difficilement. Les premiers ont été déplacés par le tsunami et peuvent envisager, à terme, de rentrer chez eux, une fois les aides débloquées et les plans de reconstruction avancés. Les seconds, quant à eux, ont été déplacés par l’accident nucléaire : malgré les plans de décontamination, leurs perspectives de retour sont plus qu’incertaines.

Mais pour les uns comme pour les autres, le camp a pris une dimension permanente. Ces camps de maisons préfabriquées sont aujourd’hui des lieux dans un entre-deux, pas tout à fait des abris temporaires, mais pas non plus des résidences permanentes. Comme les résidents des trailer-parks de Katrina, leurs habitants sont livrés à eux-mêmes, dans l’attente d’une intervention des autorités, une attente qui n’a pas de fin en vue.

3ème partie : La zone contaminée, un camp qui ne dit pas son nom

La situation de ceux qui n’ont pas été évacués, pourtant, n’est guère plus enviable. L’évacuation, en effet, a été réalisée en plusieurs phases successives : après avoir suivi une logique de zones concentriques, c’est ensuite le niveau de radioactivité qui a déterminé les processus d’évacuation. Le 22 avril 2011, le gouvernement commençait à identifier les zones avec un haut degré de radioactivité (plus de 20 mSv par an), dont il recommandait l’évacuation dans un délai d’un mois. Le nuage radioactif, en effet, n’avait évidemment pas suivi une progression par cercles concentriques, on l’on observait donc un décalage significatif entre les zones évacuées et les zones contaminées, comme on le voit sur la carte ci-dessous.

Le 16 juin 2011, plus de trois mois après la catastrophe, le gouvernement allait pousser cette logique plus loin encore, puisque des mesures de radioactivité allaient être réalisées directement dans les habitations : pour ceux qui habitaient dans des maisons présentant un taux de radioactivité supérieur à 20 mSv par an, on allait recommander l’évacuation. Les particules radioactives se fixent en particulier sur certaines textures (la végétation notamment), de sorte que deux lieux très proches pourront présenter des taux de radioactivité très différents. Au sein d’un même village, voire même au sein d’une même rue, il est parfois arrivé que certaines habitations présentent des taux de radioactivité très élevés, tandis que d’autres présentaient des taux conformes à la normale. Cette différence a engendré des conditions d’évacuation très différentes : tandis qu’on recommandait à ceux qui habitaient des maisons ‘contaminées’ d’évacuer, on disait aux autres de rester chez eux : des villages entiers se sont ainsi vidés, à l’exception de quelques habitants dont la maison n’avait pas été touchée par la radioactivité. Pour ceux-là, habitants de villages désormais désertés, aucune procédure d’évacuation n’avait été prévue, souvent à leur grande incompréhension.

La logique qui avait prévalu parmi les autorités au-moment de l’évacuation avait été celle d’une évacuation a minima : les procédures avaient été largement improvisées, par vagues successives. Plus on évacuait, plus les coûts s’élevaient, puisque chaque foyer évacué était éligible à des aides de l’Etat et de TEPCO, l’opérateur de la centrale. Surtout, au-delà des coûts financiers, chaque zone évacuée représentait désormais un territoire perdu, abandonné à la radioactivité, et dont la reconquête serait difficile.

En l’absence d’un seuil universel de dangerosité de la radioactivité (chaque pays possède des normes différentes), et devant la volonté du gouvernement de minimiser autant que possible les dangers liés à la contamination nucléaire, beaucoup d’habitants ont pris leur sort en mains et se sont équipés de compteurs Geiger, dont les stocks dans les magasins allaient être dévalisés. Beaucoup se sont également tournés vers Internet pour évaluer le niveau de danger de la zone ou de l’habitation dans laquelle ils vivaient. Dans ces populations livrées à elles-mêmes, face à des informations officielles auxquelles elles ne croyaient plus, beaucoup ont ainsi pris la décision d’évacuer par leurs propres moyens. Le sentiment que l’accident nucléaire n’était toujours pas sous contrôle et la multiplication des incidents sur le site de la centrale ont évidemment renforcé ce sentiment de danger.

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