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Après Fukushima, la vie préfabriquée
16/10/2014

Le cas des évacués de l’accident nucléaire est infiniment plus complexe. En raison d’une culture qui avait systématiquement sous-estimé le risque nucléaire, les autorités japonaises n’avaient jamais véritablement envisagé la possibilité d’un tel accident. Les exercices d’évacuation avaient donc été réduits à leur strict minimum. Selon le rapport adopté après l’accident par la Diète (le Parlement japonais), seuls 10% des résidents ont été informés du premier ordre d’évacuation transmis par le gouvernement le jour de l’accident. L’évacuation a été chaotique, et souvent incohérente. Dans un premier temps, le jour de l’accident, la zone située dans un rayon de 3 km autour de la centrale a été évacuée. Cette zone a été le lendemain élargie à un rayon de 10 km, puis de 20 km. Le 15 mars 2011, la population vivant entre 20 et 30 km de la centrale a reçu l’ordre de rester confinée chez elle. Plus d’un mois plus tard, le 22 avril 2011, ces mêmes populations reçurent l’ordre d’évacuer par leurs propres moyens, tandis que les zones présentant des taux de radioactivité de plus de 20 mSv/an étaient également encouragées à évacuer. Tous ces évacués – plus de 80 000 personnes – ont été reconnus comme tels et assistés par le gouvernement. Ces zones sont indiquées sur la carte d’évacuation reproduite ci-dessous.

Réfugiés FukushimaPour ce qui concerne les évacués officiels, certains habitent dans des logements dont le loyer est payé par le gouvernement, tandis que d’autres sont hébergés dans des camps de maisons préfabriquées mis en place par les autorités.

En mars 2013, il restait encore plus de 110 000 personnes habitant ces camps préfabriqués, soit environ un tiers du total des déplacés (source : Agence pour la Reconstruction et Ministère de la Santé, du Travail et du Bien-Etre). A côté de ces camps officiels, même si les autorités parleront plus volontiers de ‘villages’, diverses zones de confinement se sont développées, qui elles aussi s’apparentent à des camps qui ne disent pas leur nom.

Mais le nuage radioactif n’a évidemment pas suivi les contours concentriques des zones d’évacuation. En conséquence, de très nombreuses zones contaminées n’ont pas été prises en charge par les autorités, et leurs habitants se sont retrouvés livrés à eux-mêmes. Ces évacués ‘spontanés’, désignés en japonais sous les noms de jishuhinansha (‘auto-évacués’) ou kuikigai hinansha (‘évacués en dehors de la zone’), ne sont pas reconnus comme des évacués officiels et n’ont donc droit qu’à une assistance très limitée. En d’autres termes, si vous prenez vous-même la décision d’évacuer sans y avoir été enjoint par le gouvernement, même si vous vivez dans une zone parfois beaucoup plus contaminée que les zones d’évacuation officielle, vous ne pouvez pas prétendre aux aides d’Etat et vous êtes livré(e) à vous-même. Ces évacués spontanés, stigmatisés par ceux qui restent pour leur supposée couardise, accusés par le gouvernement d’abandonner leur communauté, n’ont pas accès aux abris gouvernementaux. Le nombre d’évacués spontanés a continué à augmenter dans les mois qui ont suivi la catastrophe, au fur et à mesure que les habitants prenaient conscience et mesuraient eux-mêmes les taux de radioactivité dans leur habitation. Ceci a créé une situation inédite : plus d’un an après la catastrophe, le nombre d’évacués continuait à augmenter, et non à décroître, comme c’est généralement le cas (voir tableau ci-dessous). Même s’il n’existe aucune statistique officielle, on évalue à 50 000 environ le nombre d’évacués spontanés.

2ème partie : Dans les camps, une attente qui n’a pas de fin

Dans les camps de maisons préfabriquées habitent principalement des personnes âgées et/ou sans emploi, qui, presque trois ans après la catastrophe, sont toujours en attente d’un autre logement, d’une compensation des autorités ou de l’opérateur de la centrale TEPCO, ou simplement d’une perspective de retour.

Les camps sont constitués de maisons préfabriquées de 30 m2 environ, construites en urgence, souvent au sein même ou en périphérie immédiate de villes ou villages. Au sein des camps se trouve généralement également une salle commune, qui abrite diverses formes d’activités collectives : séances d’information, garderies pour les enfants, etc.

Ces camps ont été érigés dès avril 2011, un mois après la catastrophe. En mai 2012, plus de 52 000 maisons avaient été construites, tandis que le gouvernement payait en sus le loyer de 68 000 familles. Enfin, il faut ajouter à ces chiffres les 19 000 appartements qui ont été réquisitionnés par le gouvernement pour héberger les évacués (Hasegawa 2013). C’est donc un peu moins de 40% des déplacés qui ont été hébergés dans des camps, tandis que la majorité a occupé des appartements réquisitionnés par le gouvernement, ou dont le loyer a été payé par le gouvernement.

Au départ, le type d’hébergement était largement déterminé par le lieu d’origine des évacués. Mais au fil du temps, la sociologie de ces camps a profondément évolué : au début s’y trouvaient des familles de toutes classes sociales, mais les familles les plus affluentes ont rapidement quitté les camps pour déménager dans un nouveau logement, sans attendre les aides gouvernementales. Peu à peu ne sont donc restées dans les camps que des populations âgées et pauvres, qui ne pouvaient pas reconstruire leur vie ailleurs, et ne pourront pas non plus retourner dans la zone contaminée, tandis que ceux dont le capital social était plus riche avaient depuis longtemps déménagé.  La mixité sociale des débuts a été remplacée par une ségrégation entre ceux qui pouvaient déménager et ceux qui n’avaient d’autre choix que de rester, entre ceux qui pouvaient retrouver un logement et/ou un emploi ailleurs, et ceux qui restaient dépendants des aides du gouvernement. Le processus d’évacuation, relativement égalitaire au départ, a donc très vite exacerbé les inégalités sociales. Aujourd’hui, alors que les camps sont surtout occupés par des populations pauvres et marginalisées, il ne s’exerce plus guère de pressions politiques pour débloquer les compensations et envisager la fin des camps : ceux qui y résident aujourd’hui se sentent abandonnés des autorités, et ne nourrissent plus guère d’espoir quant à la possibilité de déménager un jour.

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