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Après Fukushima, la vie préfabriquée
Par François Gemenne une contribution à l'ouvrage "Un monde de camps" Dir Michel Agier aux Ed. La Découverte - octobre 2014
La notion même de camp renvoie souvent à celle de violence(s), parfois symbolique : ceux qui s’y trouvent (dans le camp) sont là parce qu’ils ont dû fuir des guerres, des persécutions, ou parce qu’on leur a refusé l’asile. Curieusement, l’étude des camps a souvent délaissé les campements de fortune érigés pour fournir un toit aux victimes des catastrophes naturelles. Comme si ces camps constituaient une catégorie à part, comme si leurs occupants n’étaient pas, eux aussi, des migrants forcés, brutalement contraints de quitter leur domicile, leurs terre natale ou d’adoption, leur vie d’avant. Ces déplacés sont pourtant très nombreux : en 2012, ce plus de 30 millions de personnes qui ont été déplacées par des catastrophes naturelles, davantage que le nombre de déplacés internes, qui s’établit, pour la même année, à 28,8 millions. Sur les cinq dernières années (2008-2012), ce chiffre monte à 242 millions (IDMC 2013). Ces déplacements ne sont pas simplement des évacuations de quelques jours : beaucoup restent déplacés pendant des semaines, des mois, des années, une vie entière. Et beaucoup sont donc, logiquement, hébergés dans des camps. De la même manière que les camps de réfugiés peuvent devenir des lieux, ou des hors-lieux (pour reprendre l’expression de Michel Agier, 2008), d’habitat permanent, les camps établis suite aux catastrophes naturelles peuvent aussi, dans certains cas, devenir le nouveau domicile des déplacés. Les trailer parks sont aussi l’occasion de souligner une spécificité de ces camps établis suite aux catastrophes : ils ne sont pas cantonnés aux pays de développement. Dans les pays en développement, ces camps sont le plus souvent constitués de tentes, et gérés par des organisations humanitaires ; dans les pays industrialisés, ils prennent des formes plus élaborées, plus sophistiquées, et sont souvent gérés par l’Etat. Dans ce cas, on rechignera souvent à utiliser le terme de camp, alors que c’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. Comme on le verra par la suite, le gouvernement japonais n’emploie d’ailleurs pas le terme de camps pour désigner les maisons préfabriquées dans lesquelles sont hébergées les déplacés de Fukushima, préférant souvent le terme d’ « abris ». 1ère partie : ContexteEn mars 2013, deux ans après la catastrophe, plus de 313 000 personnes restaient déplacées (source : Agence pour la Reconstruction et Ministère de la Santé, du Travail et du Bien-Etre). Ces sinistrés se répartissent en deux grandes catégories : ceux qui ont été déplacés par le tsunami, et ceux qui ont été déplacés par la catastrophe nucléaire. Les deux évacuations se sont déroulées dans des conditions très différentes : alors que l’évacuation post-tsunami avait été relativement prévue et préparée, celle qui a suivi l’accident nucléaire s’est effectuée dans l’improvisation la plus totale, générant injustices, tensions et discriminations. |
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