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Les racines et l’essence d’une crise
03/10/2014

Les valeurs des Trente Glorieuses mises à mal

Roosevelt New DealLes articles de la troisième partie insistent quant à eux sur le fait que cette crise est également une crise des valeurs. Principalement celles qui avaient fleuri entre 1945 et 1975, lors d’une période de reconstruction et de prospérité en Occident. Les crises qui ont frappé le monde à la sortie des années 1970, et qui ont amorcé un cercle vicieux notamment dans les dettes souveraines, ont ouvert la voie à de nouveaux mécanismes. « Les observations dans ces différents articles convergent toutes plus ou moins vers la même conclusion, relate Nicolas Thirion. Celle d’un recul de l’Etat-providence, d’une ‘marchéisation’ des entreprises et d’une financiarisation de l’économie. Et ce, dès les années 1980. La fin et les moyens permutent. Le but de l’entreprise change. Ce n’est plus pour l’essentiel de produire des biens ou des services pour la satisfaction des consommateurs. Le but premier est le retour sur investissement. L’Etat - c’est le sujet de ma contribution (voir ci-dessous, « De la polysémie à la clarification, Ndlr) - est désormais là pour fournir un cadre juridique qui permet d’atteindre cet objectif-là. »

Deux moteurs représentatifs de cette financiarisation de l’économie auront été l’émergence des fonds de pension (abordée dans une contribution d’Alexia Autenne(5)) et les privatisations et l’éclatement actionnarial progressif d’entreprises jusqu’alors publiques et monopolistiques (comme l’illustre Carole Monaco(6), en se focalisant sur l’exemple de la France). L’idée est également abordée dans cette troisième partie que le droit économique conjugué à l’éthique pourrait mener à un ordre juridique mondial pour corriger les effets pervers des marchés. Le capitalisme, à sa création, devait d’ailleurs être un capitalisme entre gentlemen. C’est devenu une belle illusion.

La contribution d’Isabelle Corbisier(7), enfin, inscrit dans une perspective historique l’évolution des valeurs de l’entreprise et de ses finalités, en les replaçant dans le cadre du droit des sociétés. Elle épingle les mutations du statut juridique et social donné à l’entreprise, allant d’une personne morale devant entre autres œuvrer pour le bien collectif à un simple lieu désincarné d’échange de contrats. Ce basculement s’opère dans les années 1980 et amorce des impératifs qui deviennent antagonistes entre le droit financier (visée internationale) et le droit des sociétés (ancrages nationaux) et qui privent les Etats de leurs leviers de pression. Cette perspective historique permet également de rétablir un balancement propre au capitalisme, entre la concurrence et la coopération. Si l’idéologie néolibérale voue aujourd’hui un culte au principe de concurrence, en l’érigeant à un statut presque divin, c’est suite à une amnésie sélective. Car les entreprises se sont construites sur des critères de coopération et de solidarité. Entre elles, avec les Etats, mais aussi avec le peuple, pour lequel elles étaient portées d’une mission de bien commun.

De la polysémie à la clarification 

Quand on traite un sujet aussi grave qu’une crise économique, les concepts invoqués sont souvent dénaturés au service de discours parfois antagonistes. Les définitions se superposent ou s’opposent et stratifient des mots qui, par leur polysémie, finissent par perdre leur sens et leur force. Un intérêt transversal de l’ouvrage est de proposer une réhabilitation ou, plus exactement, une clarification de certains des concepts les plus utilisés. La contribution de Nicolas Thirion en est une belle illustration. L’auteur revient sur la notion de « régulation » et en efface les imprécisions conceptuelles. En Europe, le concept a principalement défini trois grandes idées. Il a d’abord signifié un processus d’encadrement de la libéralisation des entreprises publiques dès la fin des années 1980, et qui visait à sauvegarder l’intérêt collectif dans ces secteurs. A la fin des années 1990, la régulation a caractérisé la garantie de l’équilibre des intérêts d’entreprises existant sur un marché déjà concurrentiel. Dans ces deux cas, les autorités publiques étaient fortement représentées, ce qui a mené à un troisième mode de régulation, l’autorégulation. Les entreprises prenaient l’initiative de trouver d’elles-mêmes l’équilibre qui leur convenait. 

(5) Alexia Autenne, Chercheuse qualifiée FRS-FNRS et Professeur à l’UCL et à l’ULB, L’organisation et la gouvernance des fonds de pension : les enjeux du droit belge et du droit de l’union européenne.
(6) Carole Monaco, Doctorante à l’Université de Mons, La restructuration capitalistique de l’économie française : entre nationalisations et privatisations.
(7) Isabelle Corbisier, Professeur à l’Université du Luxembourg et à HEC/Université de Liège, L’entreprise : Quelles sont ses valeurs fondatrices et ses finalités ?

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