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Les racines et l’essence d’une crise
03/10/2014

Trois parties pour comprendre la crise  

Quel meilleur sujet, pour mettre en perspective des faits d’actualités liés au droit à des considérations plus générales et historiques, que les crises que nous traversons ? Car plus encore qu’économiques, ces crises sont sociétales et sont l’expression de mutations radicales.
Quelles en sont les causes historiques ? Quelle évolution idéologique a mené l’Europe à suivre dès les années 1980 le néolibéralisme anglo-saxon en abandonnant progressivement le keynésianisme dominant des Trente Glorieuses ? Comment l’Europe peut-elle se reconstruire sur le fantôme d’un Etat-providence impossible aujourd’hui ? Vit-on un réagencement du monde ou un simple réaménagement des vieilles recettes de la démocratie libérale ? Les treize articles qui constituent cet ouvrage répondent à ces questions complexes et sont répartis en trois parties.

Les premières contributions traitent de la question de la crise des institutions et de la gouvernance. Au cours de ces pages, on y rencontre des pouvoirs publics dépassés et laissés sur la touche. Quand ils ne se concurrencent pas entre eux, ils doivent affronter des acteurs privés puissants et perdent progressivement leurs leviers de pression. Là où l’Etat fournissait un cadre censé être au service du bien commun et de la collectivité, la sphère économique est devenue son principal concurrent en vantant l’autorégulation. Qui mieux que les acteurs économiques savent ce qui est bon pour leur équilibre ? Pour enrayer cette autorégulation, qui n’a conduit qu’à une course au profit, l’une des contributions revient(2), entre rationalité et utopie, sur la possibilité de faire de la solidarité une norme principielle, constitutionnelle de la gouvernance du commerce mondial. Après tout, si elle est cantonnée à des petits cercles liés par l’affectif ou un intérêt commun, la solidarité est une valeur naturellement humaine. La chercheuse accuse ce manque de solidarité dans le secteur marchand comme cause de la crise. Elle pointe d’ailleurs, en cette période tourmentée, un retour de mesures qui vont vers une nouvelle solidification des rapports interpersonnels. Ce qui est du registre de « l’existant », et marginal, qu’elle rêve de voir s’étendre, notamment grâce au droit, à un principe fondamental, de l’ordre de « l’espéré ».  

Une crise des normes

La deuxième partie est consacrée aux normes, tant du point de vue de leur production que de la construction de leur légitimité. L’action de l’Etat dans la production de normes est aujourd’hui ébranlée par le secteur privé ou par des organismes hybrides. On peut penser à Davos, aux agences de notation ou à l’ISO(3) (Organisation internationale de normalisation), plus grande organisation non gouvernementale génératrice de normes. L’article de Coline Ruwet, qui lui est consacré, retrace très clairement les outils que mettent en place ces nouveaux acteurs normatifs pour pérenniser leur légitimité. Ils sont notamment épistémiques, car proposés par des experts compétents, politiques, car sujets à des campagnes d’enquête et d’approbation démocratique, et économiques, car guidés par les besoins du marché.

Les pressions existent également quand l’appareil étatique détient la décision finale de la création d’une norme. On pense notamment aux lobbies mis en place pour adoucir certaines mesures déjà existantes. Elisabeth De Ghellinck(4) consacre à ce sujet un article sur la possible adaptation des sanctions à l’égard des infractions au droit de la concurrence.

Enfin, la production de normes peut aussi se faire aux dépens du secteur public dans sa propre sphère, par le recours aux experts dans des domaines de plus en plus techniques et complexes (risques sanitaires, économie, écologie…). Ces experts assument progressivement une place d’élite technocrate, en évinçant les citoyens et les décideurs des cercles décisionnels.

(2) Clotilde Jourdain-Fortier, Professeur à l’Université de Bourgogne, Credimi, La solidarité comme principe de gouvernance du commerce mondial : entre réalité et utopie.
(3) Coline Ruwet, ICHEC Brussels Management School et UCL, La légitimité des normes hybrides. Arbitrages entre légitimité épistémique, politique et de marché.
(4) Elisabeth De Ghellinck, Professeur à l’Economics School de Louvain, Faut-il adapter la politique de sanction à l’égard des infractions au droit de la concurrence pour tenir compte du contexte de crise ?

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