Des crises économiques ont jalonné les cent dernières années. La crise bancaire de 2008 et la crise des dettes souveraines de 2011, dernières en date, sont encore au cœur de l’actualité. Les réactions des pouvoirs publics ou du secteur économique sont précipitées ou improvisées, mais accompagnent de nouvelles valeurs et de nouvelles normes qui méritent d’être étudiées. En 2012, un symposium consacré à cette notion de crise a été organisé pour marquer les trente ans de l’Association internationale de droit économique (AIDE). La réflexion se voulait large et interdisciplinaire, en vue d’appréhender l’objet avec recul et discernement. Diverses contributions ont été retranscrites dans un ouvrage collectif sous la coordination scientifique de Nicolas Thirion, professeur en droit économique à l’Université de Liège. Entre scepticisme et espérances, l’opus(1), sobrement intitulé « Crise et droit économique », vient d’être publié chez Larcier.
Avant de plonger dans le contenu de l’ouvrage, il est intéressant de revenir sur le contexte dans lequel a germé cette contribution. Nicolas Thirion déplore aujourd’hui une tendance utilitariste de la science du droit. « Les colloques de droit sont de plus en plus voués à décrire les règles juridiques qui existent, à transmettre des informations sans les remettre en question, sans essayer de déceler les valeurs sous-jacentes qui influencent les manières de faire du droit et son contenu. »
Or, la volonté du chercheur et de l’AIDE est justement de comprendre comment le droit influence et est influencé par des discours extérieurs à lui, comment les règles, les normes et les valeurs qui l’irriguent résultent de cette influence. Une analyse académique qui se veut plus large et qui pourrait inspirer les politiques, si les ponts de communication entre les deux sphères ne s’effritaient pas. « Les hommes politiques d’aujourd’hui ne vont évidemment pas assister à un colloque juridique dans sa totalité. Selon moi, ce n’est toutefois pas au monde académique d’aller vers le monde politique. Le premier réfléchit, prend du recul, cultive la distanciation et fournit des boîtes à outils. Il offre le cas échéant des pistes de réflexion que les experts qui gravitent autour de la sphère politique pourront utiliser. Mais un pont immédiat n’est pas envisageable aujourd’hui, il me semble. D’autant qu’en politique, l’urgent chasse l’important. Ce qui est de l’ordre du long terme et de la réflexion est laissé de côté au profit du court terme. »
Et c’est peut-être là l’un des symptômes de la crise. Les politiques sont dépassés par l’urgence et adoptent des mesures précipitées. Pourtant, l’appareil public n’a eu de cesse de s’épandre avec l’émergence du capitalisme. Pour le promouvoir, mais aussi pour le contraindre. Les villes avec les marchands du Moyen Age, les Etats-Nations avec la découverte des nouveaux mondes, les unions régionales, dont le plus bel exemple reste l’Union européenne, avec les relations internationales de la seconde moitié du XXème siècle… « et puis plus rien. Là où la libéralisation économique a continué de croître et de s’accélérer, les unions interétatiques n’ont pas réussi à faire advenir un cadre international suffisamment fort ». Peut-être, selon Nicolas Thirion, parce que ces organismes intergouvernementaux résultent tout de même de l’alliance d’Etats-Nations qui ne sont pas prêts à lâcher leur souveraineté, même si elle devient de plus en plus limitée. Le droit, dans ce contexte, peine à se frayer un chemin. « Le droit n’est rien d’autre qu’une décision politique enfermée dans un texte censé durer. Il faut donc une volonté politique, pour qu’il y ait du droit. Or, elle n’existe pas. Le droit n’a pas de rôle autonome à jouer. C’est un instrument. Sans instrumentiste, il n’est rien. C’est pourquoi l’intérêt du travail intellectuel est d’aller regarder derrière le droit, de plonger sous la surface des textes, de comprendre d’où ils viennent, ce qu’on voulait leur faire dire. Car les textes juridiques en tant que tel n’ont aucune force propre ».
(1) Crise et droit économique, under the scientific supervision of Nicolas Thirion, Ed. Larcier, Brussels, 2014.