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Course aux brevets dans la Belgique du XIXe siècle
22/09/2014

Des inventeurs aux profils divers

Arnaud Péters illustre cette première partie de ses recherches à l’aide d’une source principale : les brevets d’invention, qu’il aborde de manière quantitative en réalisant une base de données des brevets existants.

Tant du côté belge qu’à l’étranger, il constate que le nombre de brevets explose à partir de 1854 et que les profils des inventeurs se diversifient. « Les brevets sont le fait d’indépendants, d’industriels ou de personnalités liées à une entreprise, explique Arnaud Péters. En investiguant, on découvre toutefois qu’ils représentent souvent des sociétés. A la Vieille-Montagne, les brevets sont ainsi déposés au nom du directeur de l’usine. A côté de cela, il existe tout de même beaucoup de particuliers qui déposent des brevets, notamment ceux que l’on appelle les “inventeurs isolés polyvalents”. Ils brevettent dans toutes sortes de domaines et sont peu ou pas liés à une entreprise. Leurs brevets sont rarement sollicités par les industriels. »

Le jeune chercheur met également en évidence l’éveil de deux nouvelles professions, qui vont marquer sensiblement l’histoire des brevets : celle d’ingénieur et celle d’avocat.

À l’heure où les brevets se démocratisent, les premières écoles d’ingénieurs ouvrent leurs portes, notamment à Liège. Leur diplôme en poche, ces jeunes ingénieurs tentent eux aussi leur chance en déposant des brevets. En parallèle, une nouvelle profession d’agent de projet se développe chez les avocats. Ceux-ci font office d’intermédiaire entre l’étranger et la Belgique pour les porteurs de brevets d’importation. Inspirés par cet élan d’innovation, de nombreux avocats en viennent à proposer un brevet en leur nom propre.

Des brevets liés à l’innovation industrielle ?

Tant le nombre élevé de brevets déposés par habitant, que l’importance de l’importation et le boom spectaculaire provoqué par la loi de 1854 témoignent de la course à l’innovation qui se déroule au XIXe siècle dans la jeune Belgique. En parallèle, l’industrie belge se développe elle aussi de manière impressionnante. Peut-on en conclure que la course aux brevets participe à l’essor industriel du XIXe siècle ? Le facilite-t-elle ? Ou s’agit-il plutôt de deux phénomènes indépendants ?

Brevets boom 1854
Arnaud Péters apporte plusieurs réponses à ces questions. Il constate tout d’abord que de nombreux brevets ne sont pas exploités industriellement et que la plupart tombent dans le domaine public au bout de deux ans, faute d’utilisation. Pour certains inventeurs, le brevet devient même une fin en soi. Beaucoup de brevets ne sont pas valorisés ni mis en œuvre. Corentin De Favereau, docteur en histoire à l’Université catholique de Louvain qui a collaboré avec Arnaud Péters, a mené sa thèse sur les brevets dans l’agriculture. Ses recherches ont démontré l'importance de l’argument publicitaire pour les candidats aux brevets. Au XIXe siècle, se réclamer « inventeur de brevets » est une marque de prestige. « Certains déposent un brevet juste pour pouvoir l’indiquer sur leur enseigne alors que dans bien des cas, leur brevet tombe rapidement dans le domaine public faute d’exploitation et de paiement des droits annuels » résume Arnaud Péters.

Très peu d’actions sont par ailleurs intentées en justice pour des brevets contrefaits. Les 104 affaires comptabilisées dans la jurisprudence - pour la période 1817-1873 - s'avèrent quantitativement peu signifiantes par rapport au nombre de brevets octroyés. Ces éléments laissent penser que la valeur économique des brevets est très faible et qu’ils ne contribuent dès lors pas à l’innovation technique.

Cette position s’oppose à celle de certains économistes, parmi lesquels l’Anglais Douglass North. Pour ce dernier, le développement industriel en Angleterre est clairement la conséquence du système de brevets. Sa vision est toutefois remise en question par l’Américaine Petra Moser, pour qui les relations entre brevets et innovation demeurent assez lâches au XIXe siècle. Selon elle, c’est seulement au XXe siècle que ces relations deviennent évidentes.

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