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Paroles d’ados
08/08/2014

« J’ai des jours où… »

« Ils vont également beaucoup s’auto-attribuer les évènements, poursuit-elle. Ils utilisent abondamment le pronom "je". En général, les gens utilisent l’expression : "il y a des jours où…" Eux vont dire : "J’ai des jours où…" ». La psychologue souligne par ailleurs la  prédominance de phrases courtes, présentées comme des faits. « Lorsqu’on leur demande ce qui fait qu’ils sont ce qu’ils sont, ils vont commencer par de petites phrases, voire par des mots lourds de sens. "La maladie de ma mère", "mon viol", "la mort de ma petite sœur"… Ils ne vont pas dire : "La mort de ma sœur m’a vraiment rendu triste, ce qui fait que je ne suis plus capable d’aller à l’école". Leur discours est très figé et les évènements de vie négatifs sont dominants. » Leurs récits de vie sont aussi ponctués de personnages seuls (père, mère…) et de mots à connotation négative (suicide, maladie, hospitalisation, divorce, mort, conflit, séparation…)

Au vu des résultats de cette étude comparative sur la dépression, Aurore Boulard et Jean-Marie Gauthier ont voulu aller plus loin en appliquant la même méthodologie à d’autres pathologies. Dont l’obésité. Une maladie toujours plus répandue. Plus de 43 millions d’enfants à travers le monde souffriraient de surpoids. En Belgique, bien que les estimations varient, on avance généralement que 10% des jeunes seraient concernés.

Papa, maman, onrecit jeunes

Les deux psychologues liégeois, accompagnés de leur collègue Aurore Jadin, viennent de publier un article scientifique s’intéressant aux récits de vie de sept ados obèses (1). « On a voulu voir s’ils avaient une manière différente de se raconter que les jeunes tout venant ou déprimés, détaille Aurore Boulard. Parce qu’il s’agit d’une maladie qui a un effet visible sur le corps et on sait qu’à cet âge-là, le corporel est important et peut entraîner des effets sur l’estime de soi, les relations aux autres, les activités extra-scolaires… »

Même question de base que pour la première étude (qu’est-ce qui fait que tu es devenu ce que tu es aujourd’hui ?), même procédé (discours oraux retranscris et analysés via un programme informatique). Mais les résultats, eux, diffèrent. Si les adolescents du groupe contrôle utilisent souvent le « nous » et les adolescents déprimés le « je », les adolescents obèses quant à eux privilégient le « on » (« L’amour qu’on reçoit ou pas », « Avec les fréquentations, on change beaucoup », « Si on a des parents moins aimants, on sera soi-même différent »…) Un discours plus général, moins affirmatif, moins personnel, moins inclusif.

Le thème familial est également très sollicité. Souvent en citant des personnages seuls. Avec des mots comme « papa » et « maman » plutôt que « père » et « mère ». Une tendance qui confirme les résultats de recherches antérieures qui avaient mis en évidence que les adolescents obèses se montrent plus attachés à leur famille et que la dépendance entre les parents et l’enfant est accentuée.

Contrairement aux jeunes dépressifs qui vont se définir comme tels, leurs congénères obèses ne vont pas évoquer leur maladie, bien qu’ils soient suivis à l’hôpital. Par contre, la nourriture occupe une place de choix dans leurs témoignages. Des moments heureux ou difficiles vont être associés à un contexte alimentaire. Le verbe « manger » revient fréquemment, alors qu’il est complètement absent chez les adolescents contrôle.

La nourriture devient presque un personnage du récit de vie. « Leur discours est extrêmement structuré par la nourriture, c’est un sujet de préoccupation important, remarque Jean-Marie Gauthier. On pensait qu’il s’agissait d’un stéréotype, mais il s’est vérifié. Ils ne parlent pas que de nourriture, mais ils l’évoquent beaucoup plus que les autres. Et on sent dans les associations de mots que le plaisir est quand même lié. »

(1) La psychopathologie à la lumière des histoires de vie : Etude de la fonction narrative d’adolescents obèses et dépressifs.

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