Si la lumière influe sur l'humeur, on ignore exactement par l'entremise de quels mécanismes cérébraux. L'hypothèse communément admise est que l'effet observé résulte de son impact indirect sur la régulation des rythmes biologiques. Selon quel processus ? On sait que l'information lumineuse est transmise au noyau suprachiasmatique (horloge biologique interne) par les cellules ganglionnaires. Une fois « stimulé », ce noyau agit sur différentes structures cérébrales, dont l'hypothalamus et l'hypophyse, mais aussi, au terme d'un cheminement complexe, sur l'épiphyse, structure qui produit la mélatonine au niveau cérébral. Surnommée l'« hormone de la nuit », celle-ci facilite le déclenchement du sommeil. Or l'obscurité ou une faible luminosité permettent sa sécrétion, tandis qu'une lumière de moyenne intensité (supérieure à environ 100 lux) la bloque. Par ailleurs, la mélatonine modifierait la périodicité de notre horloge biologique. Durant l'hiver, saison vouée à une obscurité prolongée, elle en allongerait la période, alors qu'elle la raccourcirait en été. « Ceci demeure toutefois hypothétique », dit Gilles Vandewalle.
Quand le cerveau préfère le bleu
De toute façon, une question mérite d'être posée : ce mécanisme indirect, qui conduirait l'individu à mieux se sentir en été parce que ses rythmes biologiques y sont meilleurs, serait-il le seul par lequel la lumière influe sur l'humeur ? Ne pourrait-il exister un mécanisme (direct) alternatif ou, à tout le moins, complémentaire ? C'est ce qu'ont mis en évidence Gilles Vandewalle et les autres auteurs belges, suisses et anglais de l'article paru en octobre 2010 dans la revue PNAS.
En effet, ils montrèrent expérimentalement que la lumière bleue affecte bel et bien l'organisation fonctionnelle du cerveau lors du traitement des émotions. Comparée à la lumière verte, à laquelle sont plus sensibles les cônes et les bâtonnets, elle augmente la réponse cérébrale aux stimuli auditifs émotionnels dans la « voice area », région située au sein du cortex temporal chargée de décoder l'information vocale et les émotions y afférentes, et dans l'hippocampe, structure sous-tendant certains aspects de nos réactions émotionnelles et de la mémoire. De surcroît, lors du traitement des émotions, la lumière bleue renforce sélectivement la connectivité fonctionnelle entre la « voice area », l'amygdale et l'hypothalamus. L'amygdale est une structure de grande importance pour les réponses émotionnelles et la régulation de l'humeur, tandis que l'hypothalamus est impliqué non seulement dans la réponse émotionnelle, mais également dans la régulation des rythmes biologiques et du sommeil. Il existe donc un réseau unique qui intègre les informations émotionnelle et lumineuse.
Préalablement, plusieurs auteurs avaient découvert un impact direct de la lumière bleue sur certaines régions cérébrales impliquées dans la mémoire de travail et, plus largement, dans la cognition.
Mais comment prouver l'implication formelle, chez l'homme, des cellules ganglionnaires exprimant la mélanopsine dans la cognition, les émotions, l'éveil, etc. ? Car si elle a pu être démontrée dans divers processus chez l'animal, notamment à la suite de manipulations génétiques privant le nouveau-né de cônes et/ou de bâtonnets et/ou de cellules ganglionnaires à mélanopsine, les hypothèses émises chez l'être humain ne reposaient que sur des arguments indirects. En particulier, la supériorité du bleu par rapport aux autres couleurs pour provoquer certaines réponses cérébrales.