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La « génération Erasmus », un modèle de tolérance ?
30/04/2014

Pour ses recherches, Deborah Meunier s'est essentiellement intéressée au cas des étudiants Erasmus venus à Liège pour y apprendre le français. Selon elle, les représentations qu'ils ont de la langue française font particulièrement obstacle à la posture relativiste. « Le français hérite d’une tradition normative lourde. Il y a l'idée, chez les étudiants, que c'est une langue qu'on ne peut pas pratiquer partiellement, que ne pas bien parler le français, c'est l'abîmer ». La chercheuse va jusqu'à identifier un processus de stigmatisation des étudiants n'ayant que des connaissances partielles de la langue. « Ils n'acceptent pas du tout l'accent étranger en français, par exemple. Parfois au nom d'un problème de compréhension, mais parfois aussi pour des raisons purement idéologiques, liées au poids normatif du français ». Pour décrire son échantillon, Deborah Meunier parle alors d'un « plurilinguisme de façade » : tout en affirmant que l'expérience Erasmus est faite de bienveillance vis-à-vis de l'imperfection, les étudiants la stigmatisent fortement.

Cette pluralité de façade concerne également les éléments culturels non-linguistiques. Ici encore, alors que la génération Erasmus devrait être bienveillante envers la diversité, les conclusions de Deborah Meunier sont moins enthousiastes. « Les étudiants développent une diversité de façade. Ils disent par exemple ''Le séjour Erasmus me permet de découvrir la culture de l'autre'' et voient cela comme une  valorisation de l'interculturalité. Or, rien que le fait de parler de culture ''de l'autre'', c'est déjà faire une catégorisation. Ce n'est pas ça, l'interculturalité », explique-t-elle. Lors de leur immersion, le regard des étudiants sur les personnes rencontrées est, de même, cadré par la recherche de traits prototypiques à chaque culture. Ils ont recourt à des expressions telles « les Liégeois sont typiquement ainsi » ;  « les Espagnols sont tous ainsi ».

Des pistes pour l'avenir

De façon générale, la manière d'être plurilingue, faite d'une tolérance accrue envers la diversité de langues et locuteurs, ne semble que peu adoptée par les étudiants. Deborah Meunier le résume ainsi : « Le pluralisme qui émane de leurs discours relève souvent de l'imposture ».

Puisqu'au sein même de certains eurodiscours la posture humaniste semble n'être qu'une façade cachant des motifs instrumentalistes, il est légitime de se demander s'il n'existe pas un lien d'influence direct entre eux et le vécu des étudiants. Deborah Meunier nous précise à ce sujet « que si l'influence est possible, il serait difficile de l'établir avec certitude ». La correspondance reste cependant troublante.

Les recherches de Deborah Meunier soulèvent une autre question : pourquoi l'immersion vécue par les étudiants mobiles ne débouche-t-elle pas sur la compétence plurilingue espérée ? Pourquoi, en d'autres termes, les Erasmus ne développent-ils pas la tolérance nouvelle à l'altérité (linguistique et culturelle) espérée par l'Europe ? « Le passage d'une pratique plurilingue à une compétence plurilingue ne va pas de soi. Ça nécessite des outils qui, pour l'instant, n'existent pas pour le contexte de la mobilité Erasmus », nous a répondu Deborah Meunier. Ces outils seraient par exemple des dispositifs didactiques propres aux étudiants Erasmus. « Oui, certains professeurs savent qu'ils ne peuvent pas avoir les mêmes exigences envers les Erasmus qu'envers les autres étudiants mais ça s'arrête généralement là. Peu se posent la question, par exemple, des compétences spécifiques à développer chez les Erasmus. Et encore moins de la manière de le faire ».

Quant au développement d'un rapport relativiste, souple, aux normes linguistiques, il apparaît évident, à la lecture des recherches de Deborah Meunier, qu'il ne peut se produire que dans le cadre d'un modèle éducatif qui tiendrait compte des représentations sociales que les étudiants ont de la langue étudiée. L'exemple du français est parlant. Les entretiens avec les Erasmus de Liège ont montré que, pour les apprenants, l’apprentissage du français est quasi-indissociable d'une attitude puriste. Dans ce contexte, il devient donc contre-productif de recommander aux étudiants d'adopter une posture relativiste, du moins sans effectuer, dans le même temps, un travail sur leurs représentations sociales. Et c'est là une des pistes d’amélioration des politiques éducatives européennes sur lesquelles Deborah Meunier conclut sa thèse : « Dans mes conclusions, j'avance l'idée que si on veut des politiques éducatives qui soient réalistes, on doit tenir compte de la manière dont les étudiants perçoivent la langue apprise ».

Direction paysSans vouloir chambouler complètement les politiques éducatives européennes, Deborah Meunier soulève en tout cas les points faibles des recherches menées par les experts à la charge de l'Europe. À des conclusions de travaux dont les objectifs étaient probablement mi-scientifiques, mi-politiques, elle répond par la présentation minutieuse du cas particulier des étudiants Erasmus non-francophones débarqués à l'Université de Liège et, ce faisant, offre de nouvelles pistes de réflexion pour l'amélioration des programmes didactiques européens.

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