Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège. ULg, Université de Liège

La « génération Erasmus », un modèle de tolérance ?
30/04/2014

Avec, cette année, 27 ans d'existence, le programme européen d'échanges linguistiques Erasmus rencontre toujours beaucoup de succès – 3 millions de bénéficiaires depuis 1987, selon les derniers chiffres de la Commission Européenne. Idéalement, la mobilité de la jeunesse qu'encourage ce programme pourrait permettre l'émergence d'une « génération Erasmus », dont les atouts ne seraient pas uniquement la pratique plurilingue mais aussi une « compétence plurilingue », faite de valeurs humanistes, tolérantes et citoyennes, telle que le Conseil de l’Europe la conçoit. Deborah Meunier, assistante au Service de didactique et méthodologie du français langue étrangère et seconde de l'Université de Liège, a interrogé cette prétention dans le cadre de sa thèse de doctorat intitulée Les représentations linguistiques des étudiants Erasmus et la vision plurilingue européenne : normes, discours, apprentissages.

Erasmus EuropeL'étude qu'a menée Deborah Meunier, assistante au Service de didactique et méthodologie du français langue étrangère et seconde de l'Université de Liège porte sur deux types de discours. Elle est, d'abord, l'analyse minutieuse des textes sur la mobilité étudiante Erasmus et le plurilinguisme produits par l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. La chercheuse y révèle notamment la manière dont l'Europe a fait du plurilinguisme et/ou du programme Erasmus les fondements de ses politiques éducatives. L'étude comporte, ensuite, une décomposition des discours tenus par les étudiants Erasmus non-francophones au début et à la fin de leur séjour à Liège. Ont-ils une représentation d'eux-même différente qu’auparavant? Ont-ils acquis la compétence plurilingue souhaitée par le Conseil de l'Europe ? Leur rapport aux normes linguistiques et sociales a-t-il changé ? En se penchant sur ces deux groupes discursifs, la chercheuse a pu analyser leur degré de correspondance et fournir des pistes d'amélioration pour la suite.

La compétence plurilingue de la génération Erasmus

Au cœur des études de référence du Conseil de l’Europe, on trouve la notion de compétence plurilingue. « La compétence plurilingue est un concept développé par les chercheurs experts pour l'Europe et qui va au-delà de la pratique plurilingue », explique Deborah Meunier. La compétence plurilingue ne consiste pas seulement en la pratique de plusieurs langues mais est en effet aussi l'outil du développement de valeurs humanistes comme le respect de la diversité culturelle et la conscience du devoir de citoyenneté.

Dès lors, on pourrait faire l’hypothèse que, immergés dans un environnement nouveau, les étudiants Erasmus expérimenteraient l'altérité au point de développer une tolérance nouvelle à la diversité culturelle et linguistique. Plutôt que de poursuivre l'idéal (chimérique?) du bilinguisme parfait, ils valoriseraient par exemple les connaissances partielles des langues étrangères. Ils toléreraient, de même, plus aisément les accents étrangers. De manière générale, ils adopteraient une relation aux normes, sociales comme linguistiques, plus souple. Plus qu'une expérience pratique de nouvelles langues, le programme Erasmus permettrait donc aux étudiants mobiles d'évoluer vers une nouvelle manière d'être, qui serait en accord avec l'identité plurielle de l'Europe.

La dualité paradoxale des discours européens

Au sein de ces textes, déjà, Deborah Meunier identifie un paradoxe important. « Les discours de l’Union ne parviennent pas à sortir définitivement de certains classements fonctionnalistes des langues, pourtant incompatibles avec la manière d'être plurilingue ou pluraliste préconisée par le Conseil de l’Europe», écrit-elle. Ce qu'elle appelle un « classement fonctionnaliste » des langues est en fait un processus de catégorisation de celles-ci sur base de critères économiques : l'immersion dans un pays anglophone est, par exemple, présentée comme un atout indéniable pour se démarquer sur le marché de l'emploi. En plus d'induire une hiérarchie des langues sur base de leur aptitude à être ou non véhiculaire, ce discours fait de la maîtrise des langues un objet de performance.

Il y a donc, au sein même des discours européens, une contradiction entre, d'une part, une volonté affichée de valoriser les connaissances partielles, de démystifier l'idéal du bilinguisme et, d'autre part, des arguments basés sur la recherche de la performance, dans un contexte concurrentiel où il faut maîtriser certaines langues pour se démarquer. À un discours humaniste, se mêle donc, à des degrés divers, un discours économique et utilitariste. Pour Deborah Meunier, cette cohabitation est paradoxale et pourrait relever, en ce qui concerne les discours de l’Union, d'une volonté de « fluidifier un discours à caractère néo-libéral par des valeurs humanistes ».

Une dualité qu'on retrouve chez les étudiants

Cette tension entre objectifs humanistes et objectifs utilitaristes est perceptible dans les discours des étudiants interrogés par Deborah Meunier. « On retrouve ce paradoxe chez les étudiants. Il y a à la fois le souci d'acquérir des compétences très élevées, d'excellence, et l'idée qu'il faut être dans la découverte et l'acceptation », explique-elle ainsi. Dans ses conclusions, elle parle d'étudiants qui oscillent entre deux postures contraires. La première est relativiste - pour les besoins de la communication, les apprenants se doivent d'adopter une posture souple face à la norme et de valoriser les connaissances, même partielles, de la langue qu'ils souhaitent assimiler. La seconde est une posture puriste – les étudiants manifestent, par exemple, un rejet des accents étrangers et stigmatisent les interlocuteurs ne parlant pas parfaitement la langue visée. La prédominance de l’une ou l'autre posture dépend de l'étudiant, de la situation, ...et de la langue.

Page : 1 2 suivante

 


© 2007 ULi�ge