La « génération Erasmus », un modèle de tolérance ?
Avec, cette année, 27 ans d'existence, le programme européen d'échanges linguistiques Erasmus rencontre toujours beaucoup de succès – 3 millions de bénéficiaires depuis 1987, selon les derniers chiffres de la Commission Européenne. Idéalement, la mobilité de la jeunesse qu'encourage ce programme pourrait permettre l'émergence d'une « génération Erasmus », dont les atouts ne seraient pas uniquement la pratique plurilingue mais aussi une « compétence plurilingue », faite de valeurs humanistes, tolérantes et citoyennes, telle que le Conseil de l’Europe la conçoit. Deborah Meunier, assistante au Service de didactique et méthodologie du français langue étrangère et seconde de l'Université de Liège, a interrogé cette prétention dans le cadre de sa thèse de doctorat intitulée Les représentations linguistiques des étudiants Erasmus et la vision plurilingue européenne : normes, discours, apprentissages. La compétence plurilingue de la génération ErasmusAu cœur des études de référence du Conseil de l’Europe, on trouve la notion de compétence plurilingue. « La compétence plurilingue est un concept développé par les chercheurs experts pour l'Europe et qui va au-delà de la pratique plurilingue », explique Deborah Meunier. La compétence plurilingue ne consiste pas seulement en la pratique de plusieurs langues mais est en effet aussi l'outil du développement de valeurs humanistes comme le respect de la diversité culturelle et la conscience du devoir de citoyenneté. La dualité paradoxale des discours européensAu sein de ces textes, déjà, Deborah Meunier identifie un paradoxe important. « Les discours de l’Union ne parviennent pas à sortir définitivement de certains classements fonctionnalistes des langues, pourtant incompatibles avec la manière d'être plurilingue ou pluraliste préconisée par le Conseil de l’Europe», écrit-elle. Ce qu'elle appelle un « classement fonctionnaliste » des langues est en fait un processus de catégorisation de celles-ci sur base de critères économiques : l'immersion dans un pays anglophone est, par exemple, présentée comme un atout indéniable pour se démarquer sur le marché de l'emploi. En plus d'induire une hiérarchie des langues sur base de leur aptitude à être ou non véhiculaire, ce discours fait de la maîtrise des langues un objet de performance. Il y a donc, au sein même des discours européens, une contradiction entre, d'une part, une volonté affichée de valoriser les connaissances partielles, de démystifier l'idéal du bilinguisme et, d'autre part, des arguments basés sur la recherche de la performance, dans un contexte concurrentiel où il faut maîtriser certaines langues pour se démarquer. À un discours humaniste, se mêle donc, à des degrés divers, un discours économique et utilitariste. Pour Deborah Meunier, cette cohabitation est paradoxale et pourrait relever, en ce qui concerne les discours de l’Union, d'une volonté de « fluidifier un discours à caractère néo-libéral par des valeurs humanistes ». Une dualité qu'on retrouve chez les étudiantsCette tension entre objectifs humanistes et objectifs utilitaristes est perceptible dans les discours des étudiants interrogés par Deborah Meunier. « On retrouve ce paradoxe chez les étudiants. Il y a à la fois le souci d'acquérir des compétences très élevées, d'excellence, et l'idée qu'il faut être dans la découverte et l'acceptation », explique-elle ainsi. Dans ses conclusions, elle parle d'étudiants qui oscillent entre deux postures contraires. La première est relativiste - pour les besoins de la communication, les apprenants se doivent d'adopter une posture souple face à la norme et de valoriser les connaissances, même partielles, de la langue qu'ils souhaitent assimiler. La seconde est une posture puriste – les étudiants manifestent, par exemple, un rejet des accents étrangers et stigmatisent les interlocuteurs ne parlant pas parfaitement la langue visée. La prédominance de l’une ou l'autre posture dépend de l'étudiant, de la situation, ...et de la langue. |
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