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« Sire, il n’y a pas de Belges ! »
21/03/2014

D’autres éléments contribuent encore à la renommée de la Lettre au Roi : non seulement, elle a le mérite de formuler de manière claire et précise les idées qui circulent de manière disparate, mais aussi, s’adressant au Souverain, elle prend une portée particulière. Dans sa correspondance privée, dont on ne prendra connaissance que bien plus tard, le Roi évoquera d’ailleurs cette lettre. D’accord sur le constat posé par Destrée, il rejette cependant les solutions préconisées par ce dernier, qu’il estime dangereuses pour l’avenir de la Belgique. Ecrivant à son secrétaire, Jules Ingenbleek, Albert Ier approuve ainsi : « J'ai lu la lettre de Destrée qui, sans conteste, est un littérateur de grand talent. Tout ce qu'il dit est absolument vrai, mais il est non moins vrai que la séparation administrative serait un mal entraînant plus d'inconvénients et de dangers de tout genre que la situation actuelle »(2).

Au fil des ans, la Lettre au Roi est rééditée à différentes reprises et sa mémoire se transmet jusqu’à nos jours. La missive est également instrumentalisée et son sens détourné de manière malveillante. Pendant la guerre, elle est ainsi récupérée par l’occupant pour justifier sa politique de séparation administrative. Ses transformations et récupérations ont contribué à sa légende et à la transmission de sa mémoire.

assemblee wallonne

Après 1918, de la séparation administrative au fédéralisme

A l’issue de la Première Guerre mondiale, les idées formulées par la lettre de Destrée prennent une autre signification. Certaines expressions ne peuvent plus être prononcées sans qu’on les considère comme sulfureuses. A partir du moment où l’occupant a mené et imposé pendant la guerre une politique de « séparation administrative », l’expression devient taboue. Elle est vite remplacée par les notions d’autonomie interne et de fédéralisme.

Dans l’immédiat après-guerre, les revendications fédéralistes gardent cependant une connotation négative. « Elles n’étaient déjà pas très bien perçues avant 1914 mais dans un contexte d’hyperpatriotisme belge, être favorable à une modification des structures de l’héroïque petite Belgique au profit d’une logique fédéraliste ne passe pas bien du tout » explique Catherine Lanneau. Désormais, c’est du côté flamand, beaucoup plus que du côté wallon, qu’un mouvement va se développer en ce sens. A partir de 1923, un courant fédéraliste wallon reprend toutefois du poil de la bête. Jules Destrée et les autres membres de ce courant rompent alors avec l’Assemblée wallonne, à laquelle ils reprochent son conservatisme et le reniement de son objectif initial : le fédéralisme.

(2 )Landro, 30 août, A Jules Ingebleek, secrétaire privé du Roi et de la Reine, lettre reproduite in extenso, in M-R Thielemans et E. Vandewoude, Le Roi Albert au travers de ses lettres inédites, Office international de librairie, Bruxelles, 1982, pp. 435-436.

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