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« Sire, il n’y a pas de Belges ! »
3/21/14

L’expression est connue, son histoire un peu moins. Un siècle déjà que fut publiée la Lettre au Roi du député socialiste Jules Destrée, dont l’on retient surtout cette exclamation : « Sire, il n’y a pas de Belges ! ». Diffusée en 1912 dans plusieurs revues et quotidiens belges, la missive expose les premières revendications wallonnes en faveur d’une séparation administrative de la Belgique, l’équivalent de notre fédéralisme. Un colloque organisé par l’Université de Liège, en collaboration avec la Province de Liège et l’Institut Destrée, a permis de parcourir les événements de cette année 1912 et de revenir sur la personnalité de Jules Destrée. Un ouvrage qui vient de sortir de presse rend compte de ces travaux.

COVER DestréeOrganisé au mois d’avril 2012, le colloque « Deux journées pour un centenaire » a marqué le centième anniversaire de cette lettre. A cette occasion, l’Université de Liège s’est associée à la Province de Liège (en charge du Fonds d’Histoire du Mouvement wallon), à l’Université catholique de Louvain et à l’Institut Jules Destrée.

Les contributions à ce colloque sont à présent réunies dans un ouvrage(1) coordonné par Catherine Lanneau, chargée de cours à l’Université de Liège, Philippe Destatte, directeur général de l’Institut Destrée et Maître de conférences à l’Université de Mons et Fabrice Meurant-Pailhe, responsable du Fonds d'Histoire du Mouvement wallon.

La Lettre au Roi a marqué l’année 1912 et le Mouvement wallon. Dépassant la simple commémoration, la célébration de ce centenaire a permis d’ouvrir le débat et de mettre en perspective aussi bien la personnalité de Jules Destrée dans son action politique et dans son action culturelle que les événements du long été de 1912 et, plus largement, de la période 1910 - 1914. Les différents interlocuteurs se sont attardés sur le climat politique en Belgique et en Wallonie à l’aube de la Première Guerre mondiale, donnant à la logique commémorative de ce colloque une importance double à la veille du centenaire de la Grande Guerre. « Nous avons voulu mettre en évidence les premières revendications qu’on appelle aujourd’hui “fédéralistes” mais qu’on ne nommait pas encore comme telles à l’époque » explique Catherine Lanneau, l’une des organisatrices du colloque.

Deux pages de journal !

Publiée pour la première fois le 15 août 1912 dans la « Revue de Belgique », la Lettre au Roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre de Jules Destrée est vite reprise par « L’Express » (Liège) et « Le Journal de Charleroi », soit deux journaux de villes et de sensibilités différentes (le premier est libéral, tandis que le second est proche du POB, le Parti ouvrier belge). L’intégralité du texte de Destrée - pas moins de 24 pages - couvre les deux premières pages de ces journaux, ce qui montre l’importance attachée à sa publication et sa diffusion.

Mais que contient exactement ce texte ? Dans sa Lettre au Roi, Jules Destrée s’adresse au souverain, Albert Ier. En effet, « la question dépasse les partis politiques » affirme-t-il. La pensée de Destrée peut être résumée de la manière suivante. Artificiellement composée, la Belgique est un Etat politique fait de deux fragments ; il n’existe pas de nationalité belge. S’appuyant sur « ce qui distingue les Wallons des Flamands », dont le critère le plus dissociateur est celui de la langue, le député socialiste hennuyer affirme : « Vous régnez sur deux peuples. Il y a en Belgique des Wallons et des Flamands; il n'y a pas de Belges ». C’est pourquoi, conclut-il, la fusion des Wallons et des Flamands n’est pas souhaitable.

Dans la seconde partie de sa Lettre, Destrée évoque le Mouvement flamand, à l’origine, selon lui, d’une minorisation et d’une domination de la Wallonie. Destrée rapporte ses griefs à l’encontre de la Flandre, coupable d’avoir privé la Wallonie de ses artistes, en les associant à l’art flamand ; coupable d’avoir imposé le bilinguisme en Belgique, notamment dans les fonctions publiques auxquelles la plupart des Wallons unilingues ne peuvent désormais plus prétendre ; coupable d’avoir installé au pouvoir le parti catholique grâce à un système électoral qui la favorise ; ou encore coupable d’avoir déséquilibré le budget de l’Etat en sa faveur. Le constat de Destrée est implacable : « La Belgique est en danger » ; et la méthode pour y remédier, radicale : la séparation administrative, respectant l’autonomie interne de chacun. « Une Belgique faite de l'union de deux peuples indépendants et libres, accordés précisément à cause de cette indépendance réciproque, ne serait-elle pas un Etat infiniment plus robuste qu'une Belgique dont la moitié se croirait opprimée par l'autre moitié? » argumente-t-il.

(1) Jules Destrée, la lettre au roi et au-delà (1912-2012), Philippe Destatte, Catherine Lanneau, Fabrice Meurant-Pailhe (dir.), 2013. ISBN-13-978-2-87035-051-5

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