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Un intrus dans la maison
11/03/2014

Tout au long des 12 semaines de l'expérience, les éthologues liégeois n'observèrent aucun phénomène d'habituation des tritons à la présence d'un poisson. Dans une étude précédente publiée dans Ethology(3), où il n'y avait pas de contact direct entre les deux espèces (le poisson se trouvait dans un aquarium implanté lui-même dans un plus grand aquarium réservé aux amphibiens), l'inverse s'était produit. Durant les premiers jours, les tritons du « groupe poisson » se réfugiaient beaucoup plus souvent dans la cachette que ceux du groupe contrôle, mais cette tendance s'était effacée par la suite, prouvant ainsi qu'ils arrivaient à évaluer un danger potentiel.

Multiplier les refuges

Du laboratoire au milieu naturel, il y a un pas que les chercheurs veulent franchir. Ils ont un fer au feu : étudier comment, dans les mares et étangs, la diversité de l'habitat (et partant, l'abondance et la structure des cachettes) peut contribuer à limiter l'impact de la présence de poissons sur l'activité sexuelle des amphibiens. « En effet, il est probable que la multiplication des refuges ait un impact positif sur la reproduction des tritons dans les milieux où des poissons ont été introduits, considère Mathieu Denoël. Dans les mares, les principaux abris des amphibiens sont constitués par des infractuosités ou par la végétation. Or, cette dernière est parfois consommée par les poissons. Dès lors, sans doute faudrait-il aménager les habitats empoissonnés de telle sorte que des cachettes pérennes restent disponibles dans l'éventualité où retirer les poissons serait impossible. »

Le risque pour la survie des populations d'amphibiens augmente avec la dangerosité de l'espèce de poisson introduite artificiellement dans le milieu naturel. Si le poisson rouge n'est pas un prédateur direct pour le triton adulte, la truite en est un. « Beaucoup plus exigeante que le poisson rouge au niveau écologique, elle ne peut survivre dans les mares agricoles, dit le docteur Denoël. En revanche, le problème peut se poser dans les lacs alpins, par exemple. De même, de petits poissons carnivores comme les perches soleil peuvent occasionner également beaucoup de dégâts au sein des populations d'amphibiens. »

Nous l'avons mentionné, plusieurs facteurs sont impliqués dans le déclin des populations de tritons. Dans un article paru en 2013 dans PLoS ONE(4), les chercheurs du Laboratoire d'éthologie des poissons et amphibiens ont montré que les mêmes facteurs environnementaux affectaient tant les espèces rares (Tritons crêtés) que les espèces communes (Tritons ponctués). La nuance est que l'on s'aperçoit plus tardivement du déclin de ces dernières, étant donné qu'il demeure moins aisément perceptible dans un premier temps.

Il s'avère ardu d'estimer le poids relatif de chacun des facteurs causaux dans l'érosion progressive des populations d'amphibiens. L'équipe du docteur Denoël a effectué des études sur le terrain dans la région de Herve et du bassin de la Vesdre, où elle a examiné les caractéristiques environnementales (en ce compris la présence d'espèces de poissons) de plusieurs centaines de mares. Des modèles statistiques lui ont permis de déterminer quelles sont les variables individuelles qui demeurent significatives malgré la présence d'autres variables. La réponse est claire : toutes les variables prises en considération (urbanisation, pollution, abandon des mares, présence de poissons...) s'additionnent. Et ce sont les amphibiens qui paient la note !

(3) Winandy, L, & Denoël, M. (2013). Cues from introduced fish alter shelter use and feeding behaviour in adult alpine newts. Ethology, 119(2), 121-129. 

(4) Denoël, M, Perez, A, Cornet, Y, & Ficetola, G. F. (2013). Similar local and landscape processes affect both a common and a rare newt species. PLoS ONE, 8(5), 62727.

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