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Un intrus dans la maison
11/03/2014

L'expérience s'étendit sur 12 semaines au cours desquelles furent appliquées les méthodes dites de « scan et de focal sampling ». En clair, chacun des 24 aquariums fit l'objet de 20 sessions d'observations instantanées (les scans) par semaine ainsi que de plusieurs centaines de films vidéo sur l'ensemble de la période de reproduction (les focales). « L'objectif était à chaque fois de regarder où se trouvaient les individus dans l'aquarium et ce qu'ils faisaient, en particulier au niveau des comportements sexuels », rapporte Laurane Winandy.

Résultats de ces observations ? Les tritons utilisaient bien plus souvent la cachette dans les aquariums où ils cohabitaient avec un poisson rouge. Par ailleurs, leurs parades sexuelles s'y révélaient nettement moins nombreuses. Toutefois, le phénomène était plus marqué, et de loin, dans la zone ouverte en contact avec le poisson rouge.

Une intervention intempestive

Cour TritonComment expliquer cette réalité, alors que la taille des Carassius auratus ne leur permet pas de s'attaquer aux tritons adultes ? Ceux-ci anticipent-ils le danger couru par leurs œufs ? « Le premier élément à mettre en exergue est le stress éprouvé par les amphibiens face à un animal inconnu qui pourrait les menacer, souligne Laurane Winandy. Ensuite, le poisson est un animal gourmand qui aime tout goûter. Aussi, sans être violent - aucun triton n'a été blessé - a-t-il tendance à aller au contact des amphibiens et à aspirer leur peau, comme s'il leur faisait un suçon. Cela ne peut que les perturber. » Par ailleurs, comme le rappelle la chercheuse, les parades sexuelles des tritons mâles sont très voyantes et basées sur des leurres. Par exemple, elles simulent la présence de nourriture, ce qui attise l'intérêt des femelles, mais peut également attirer le poisson, lequel peut alors perturber la parade et éventuellement l'interrompre. À cela se greffe le fait que les « exhibitions » du mâle peuvent durer plusieurs minutes, voire une heure. En d'autres termes, beaucoup d'occasions sont offertes au poisson d'y mettre fin par une intervention intempestive.

Autre élément important : lorsque la femelle est réceptive, le triton mâle peut décider de déposer des spermatophores qu'elle utilisera ou non pour la reproduction. Dans de nombreux cas, elle ne les acceptera pas, et ils se dégraderont. Que le poisson les mange n'aura alors aucune incidence pour les tritons. Par contre, qu'il s'en empare en pleine parade nuptiale, soit au moment où ils viennent d'être déposés, soit au moment où, pris par la femelle, ils pendent encore à son cloaque, est délétère pour la reproduction. Il faut assurément y voir une des raisons de la forte diminution d'activité sexuelle des tritons dans la partie ouverte de l'aquarium.

Quand on compte le nombre de parades sexuelles à l'intérieur de la cachette de chaque aquarium, on ne relève pas de différence entre le groupe contrôle (pas de poisson) et le groupe où un poisson a été introduit. « Néanmoins, ces chiffres sont trompeurs, indique Laurane Winandy. Pourquoi ? Parce que, dans le second groupe, les tritons se tiennent beaucoup plus souvent dans la cachette que leurs congénères du groupe contrôle (50% du temps contre 25%), ce qui accroît la probabilité de parades nuptiales dans l'abri. Si l'on pondère les données en établissant un rapport entre le nombre d'activités sexuelles et le nombre de tritons présents, on doit conclure que, même dans la cachette, les tritons paradent moins quand il y a un poisson dans l'aquarium. Cela signifie que la présence d'un intrus à proximité les soumet à un stress général. »

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