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Un intrus dans la maison
11/03/2014

Pour différentes raisons liées aux activités humaines, les populations d'amphibiens sont en régression, voire menacées. L'introduction de poissons dans les mares et étangs concourt au phénomène. Au cours d'une expérience récente, des chercheurs de l'Université de Liège ont étudié expérimentalement comment la présence d'un poisson rouge dans un aquarium spécialement aménagé peut influer sur les comportements de reproduction des tritons. Publication dans PLoS ONE.

Les temps sont durs pour les amphibiens ! Leur déclin planétaire est une réalité incontestable. S'additionnant les unes aux autres selon diverses combinaisons façonnées par les caractéristiques propres à chaque région concernée, plusieurs causes expliquent le phénomène. L'une des principales est sans nul doute la disparition des habitats. Le territoire recèle de moins en moins de mares et d'étangs susceptibles de servir de sites de reproduction. En milieu agricole, les cultures intensives et le drainage des terres y sont pour beaucoup. La déforestation doit également être pointée du doigt, car la reproduction et l'alimentation de certaines espèces, telles les salamandres, s'en trouvent affectées. L'urbanisation croissante joue aussi un rôle non négligeable dans la disparition des habitats. En outre, leur fragmentation se révèle délétère. Quant à la pollution, en particulier celle qui découle de l'utilisation d'engrais et de pesticides, elle est très néfaste pour les amphibiens, leur peau, perméable chez la majorité des espèces, contribuant à assurer leur fonction respiratoire.

Bien qu'elle puisse paraître anecdotique à première vue, une autre cause importante de la raréfaction, voire de l'extinction de certaines populations d'amphibiens, est l'introduction de poissons dans le milieu naturel. Comme le souligne le docteur Mathieu Denoël, chercheur qualifié du FNRS au sein du Laboratoire d'éthologie des poissons et amphibiens de l'Université de Liège (ULg), l'introduction d'espèces exotiques dans l'environnement naturel représente d'ailleurs une des causes majeures de la perte globale de biodiversité dans le monde.

Dans quelles circonstances l'homme devient-il l'instigateur de l'arrivée de poissons dans les mares ou dans les étangs qui en étaient dépourvus ? Tantôt ce sont des considérations esthétiques qui le poussent - à ses yeux, le poisson rouge ou d'autres espèces voyantes « coloreront » à bon escient le milieu naturel. Tantôt il désire doter une mare ou un étang d'un nouvel animal de compagnie. Tantôt encore il voudra pallier ce qu'il estime être l'absence ou l'insuffisance de biodiversité d'un milieu naturel. À cela s'ajoute le rejet de poissons par des pêcheurs ou leur introduction, en vue d'activités de pêche, dans des étangs dont ils étaient absents jusque-là ou qui auraient pu accueillir des amphibiens. « Le plus souvent, c'est un manque d'information qui amène les gens à agir de façon inadéquate, commente Mathieu Denoël. Il n'en reste pas moins que les amphibiens sont confrontés à une nouvelle menace. Dans nombre de cas, ils disparaissent de leur milieu naturel ; dans d'autres, ils parviennent à s'y maintenir grâce à des stratégies anti-prédatrices. »

L'entrée des artistes

Avant que l'intervention de facteurs anthropiques ne perturbe leur mode de vie, les amphibiens occupaient des mares, des étangs ou des lacs exempts de poissons. Ils ne durent donc pas y développer de stratégies de cohabitation. « Dans la mesure où il apparaît qu'il peut parfois y avoir coexistence dans le milieu naturel entre poissons et amphibiens, il était intéressant d'essayer de comprendre comment les espèces natives réagissent sur le plan comportemental face aux espèces introduites », fait remarquer Laurane Winandy, aspirante FNRS au sein du Laboratoire d'éthologie des poissons et amphibiens.

Poisson rouge et tritonC'est ici que le Triton alpestre (Ichthyosaura alpestris) et le poisson rouge (Carassius auratus) entrent en scène. Avant de décrire la trame de la pièce, présentons d'abord les acteurs. Les tritons sont des amphibiens menant une vie terrestre la majeure partie de l'année. Ils hibernent tout l'hiver mais quand vient le réchauffement printanier, sonne l'heure de la reproduction. Celle-ci, qui a lieu principalement durant cette saison,  se réalise en milieu aquatique. Le triton gagne une mare et y demeure pendant toute la « période des amours ». En cela, il se distingue d'autres amphibiens, tels les crapauds et les grenouilles, qui n'y restent le plus souvent que pour une courte période. « Chez les crapauds, la coexistence avec les poissons est plus fréquente car leurs têtards sécrètent une toxine qui les préserve de la prédation », explique Laurane Winandy.

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