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Fonctions exécutives : les piliers de l'intelligence
06/03/2014
La théorie du dual mechanism of cognitive control prédit que les personnes âgées ont tendance à privilégier spontanément le contrôle réactif au détriment du contrôle proactif, plus coûteux en ressources attentionnelles. Est-ce bien le cas dans les faits ? Le groupe de Fabienne Collette a montré, via une tâche expérimentale, que les personnes âgées recourent effectivement moins facilement au contrôle proactif que les personnes jeunes (2). Néanmoins, cette vérité en cache une autre. Lorsque les chercheurs comparaient des individus jeunes et âgés dont la vitesse de traitement de l'information et le score moyen en intelligence fluide (la capacité à résoudre des problèmes) (3) étaient semblables (4), la différence disparaissait entre jeunes et âgés dans la façon de mettre en place les processus proactif et réactif. Que faut-il en déduire ? « Plutôt qu'un déficit exécutif en tant que tel, peut-être sont-ce d'autres variables qui sous-tendent ces résultats, telles de moins bonnes ressources générales pour le traitement de l'information, dit Fabienne Collette. Nous comptons approfondir cette question. Ainsi, nous allons notamment entreprendre des études en IRMf chez des personnes âgées dans le but de déterminer comment le niveau de leurs ressources de traitement de l'information influe sur leur fonctionnement cérébral dans le cadre d'une tâche de Stroop comportant soit beaucoup, soit peu d'items interférents. »
Autre fer au feu des chercheurs liégeois: la génétique. On sait que la dopamine est un régulateur des fonctions exécutives. Dans un article paru en 2014 dans la revue Cortex (5), ils montrent, chez des sujets jeunes, qu'un taux plus élevé de dopamine au niveau cortical module l'activation des régions sous-tendant le contrôle proactif, en particulier les aires frontales. Les participants à l'expérience étaient répartis en trois groupes selon la variante allélique du gène de la COMT (catechol-O-methyltransferase) dont ils étaient porteurs (VV, MM et VM respectivement), chaque variante étant associée à une plus ou moins grande dégradation de la dopamine disponible. Ainsi, moins actif que les autres, l'allèle MM du gène permet le maintien d'un taux supérieur de dopamine. De la sorte, il améliorerait la façon dont les sujets recrutent les régions cérébrales impliquées dans le contrôle proactif.
« Comme la concentration de dopamine diminue chez les personnes âgées, nous allons étudier prochainement dans quelle mesure certains gènes - spécialement le gène de la COMT - pourraient contribuer à l'érosion des capacités exécutives lors du vieillissement », ajoute Fabienne Collette.
Syndrome de déconnexion
Venons-en à la maladie d'Alzheimer. Au départ, cette affection fut considérée comme une pathologie affectant initialement la mémoire en raison d'une atteinte de l'hippocampe, puis de la jonction temporo-pariéto-occipitale. Par la suite, on s'est rendu compte que les capacités exécutives des patients étaient également touchées de façon précoce. Comment l'expliquer ? À Liège, l'équipe de Fabienne Collette a comparé deux groupes de patients dont le niveau global de démence était similaire (6). Le cerveau des premiers présentait une atteinte postérieure classique ; celui des seconds aussi, mais s'y greffait en plus une atteinte frontale. À travers une batterie de tâches, les chercheurs confirmèrent tout d'abord que les troubles exécutifs constituent une composante majeure de la maladie d'Alzheimer. Mais, chose étonnante, l'ampleur de ces déficits était la même dans les deux groupes.
« Cela signifie que ce qui explique les troubles exécutifs chez les patients Alzheimer est principalement le fait que l'information ne passe plus correctement entre les régions antérieures et postérieures du cerveau, commente la neuropsychologue. Avec le développement de techniques récentes en IRM, il devrait être possible de déterminer si le problème découle d'une dégradation de la substance blanche ou d'une désynchronisation entre les activations cérébrales. » Une chose est certaine: les résultats obtenus par les chercheurs liégeois épousent l'hypothèse de Robin Morris, de l'Institute of Psychiatry du King's College London, selon laquelle la maladie d'Alzheimer serait avant tout un syndrome de déconnexion.
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(2) Manard M., Carabin D., Jaspar M., Collette F. (2014). Do fluid intelligence and processing speed protect from age-related decline in cognitive control ? BMC Neuroscience, 15:7. F.I.:3.0. DOI: 10.1186/1471-2202-15-7. URL: http://www.biomedcentral.com/1471-2202/15/7 (3) L'intelligence fluide se distingue de l'intelligence cristallisée, qui regroupe nos connaissances sur le monde. (4) Concrètement, il s'agissait des sujets âgés les plus performants et des sujets jeunes les moins performants. (5) Jaspar M., Genon S., Muto V., Meyer C., Manard M., Dideberg V., Bours V., Salmon E., Maquet P., Collette F., Modulating effect of COMT genotype on the brain regions underlying proactive control process during inhibition, Cortex (50), 148-161. DOI: http://dx.doi.org/10.1016/j.cortex.2013.06.003. (6) Collette F., Van der Linden M., Delrue G., Salmon E. (2002). Frontal hypometabolism does not explain inhibitory dysfunction in Alzheimer's disease. Alzheimer’s Disease and Associated Disorders, 16 (4), 228-238.
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