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Les plantes : des usines à fabriquer des médicaments

Carole Desrion





Par Carole Désiron, Doctorante
FRIA
au Laboratoire de Physiologie végétale
dans l'équipe de Pierre Tocquin

Vous avez probablement une plante qui trône sur votre bureau ou sur un appui de fenêtre de la cuisine. Vous êtes malade? Imaginez que cette plante produise des médicaments par ses racines et qu'il suffirait de boire l'eau dans laquelle elles baignent pour se soigner ... A l'Université de Liège, des chercheurs mettent au point un outil de production : des plantes qui poussent sans terre et qui produisent des médicaments par les racines.

Pour vivre, une plante a besoin d'eau et d'éléments minéraux qu'elle puise par ses racines. Elle a aussi besoin de respirer du gaz carbonique (CO2) par ses feuilles. Grâce à la lumière elle réalise la photosynthèse à partir d'eau et de CO2 pour produire de l'oxygène et des sucres nécessaires à son développement. Aussi surprenant que ça puisse paraitre, les plantes n'ont pas nécessairement besoin de terre pour pousser. Un peu d'engrais dans l'eau suffit à apporter les minéraux nécessaires pour que la plante se développe correctement. On peut donc faire pousser des plantes dans un bac d'eau avec des engrais solubles, tout simplement. Ce système de culture de plantes est appelé la culture en hydroponie.

Comment et pourquoi cultiver en hydroponie?

Pour cultiver ses plantes en hydroponie, Pierre Tocquin, chercheur à l'Université de Liège, a mis au point une boite de culture. Dans cette boite, il met une solution nutritive constituée d'eau et d'engrais solubles. A la surface de la solution nutritive, il pose une plaque trouée et, dans les trous, il place un support avec une graine. Les plantes peuvent alors croitre dans des conditions parfaites, leurs racines baignant dans la solution nutritive. A tout moment, on peut soulever la plaque pour voir les racines. Récemment, les scientifiques ont trouvé une application inattendue à ces plantes cultivées en hydroponie : la production de médicaments.

«Les plantes sont une source d'alimentation, une source d'énergie ou encore une source de médicaments naturels. Mais elles peuvent aussi produire des composés que l'on trouve chez d'autres organismes, en particulier chez l'Homme. C'est le cas des anticorps : des protéines qui nous permettent de nous défendre contre les microbes mais qui n'existent pas naturellement chez les plantes» nous explique Pierre Tocquin.

Qu'est-ce qu'un anticorps?

Les anticorps sont un peu les soldats de notre corps. Lorsqu'on est malade, notre corps construit son armée d'anticorps pour se défendre. Mais si l'armée n'est pas assez puissante, les médicaments viennent en renfort. Pour que les anticorps fonctionnent dans notre corps, il faut qu'ils se replient sous une forme bien particulière lors de leur construction. C'est au bout de toute une série d'étapes de maturation que cette forme est obtenue.

arabette dame hauteur
 

Un peu d'histoire

L'idée de faire produire des protéines qui ne sont pas naturellement produites par des organismes n'est pas neuve. Actuellement, le secteur industriel produit un grand nombre de protéines, pour des applications très diverses. Jusqu'à présent, les bactéries et les levures étaient les systèmes de production les plus largement utilisés. Les raisons sont les suivantes : ce sont des organismes qui produisent rapidement la protéine voulue et ce, en très grandes quantité. Hélas, ces organismes ne font pas ou font mal les étapes de maturation. 

 

arabette médicament

Lorsque les protéines à produire sont complexes, comme des anticorps, ces étapes sont nécessaires et doivent être faites correctement. Il était donc très important de développer d'autres systèmes de production. Parmi eux, on trouve une multitude de systèmes basés sur les animaux ou les plantes. Le laboratoire de physiologie végétale de l'Université de Liège travaille avec un système végétal en particulier qui consiste à faire sécréter les protéines qui nous intéresse par les racines, en culture hydroponique. C'est ce qu'on appelle la rhizosécrétion.

Pourquoi produire par rhizosécrétion?

La production par les plantes, et plus précisément par leurs racines, a de nombreux avantages. Le premier qui vient à l'esprit est le suivant : contrairement aux animaux, il n'existe pas de micro organismes pathogènes à la fois pour les plantes et pour notre corps.  Il suffit de récolter la solution nutritive et on est sûr que le produit fini ne sera pas infecté. Sans compter que pour pousser, les plantes ne demandent pas une nourriture couteuse : du soleil, de l'eau et un peu d'engrais! La production est donc plus facile et plus économique que les autres systèmes. A priori, ces usines végétales sont idéales. Et pourtant, bien que de nombreuses sociétés envisagent d'utiliser ce procédé de production, peu d'entre elles l'utilisent actuellement. Pourquoi ce procédé de production est-il si peu utilisé? L'explication réside dans les rendements de production. Jusqu'à présent, la quantité d'anticorps produits par la plante est trop faible pour être utilisé à grande échelle. Il faudrait des superficies trop grandes pour produire les anticorps en quantité suffisante. Si on parvient à améliorer les rendements de production, ce procédé a de grandes chances d'avoir de très beaux jours devant lui.

Qu'est-ce qui influence les rendements?

Naturellement, les plantes produisent aussi des enzymes par rhizosécrétion. Ces enzymes sont appelées des protéases. Les protéases sont capables de reconnaitre des protéines et de les découper pour les détruire. Certaines de ces protéases végétales naturelles détruisent les anticorps produits par la plante. Ce phénomène conduit à une diminution des quantités produites et donc à une diminution des rendements.

Et la recherche ...

 A l'Université de liège, l'équipe de Pierre Tocquin cherche comment réduire la destruction des anticorps par les protéases pour augmenter les quantités produites. «Notre but est de trouver des variétés de plantes chez qui il manque certaines de ces protéases qui détruisent très activement les anticorps» nous dit Pierre Tocquin. «Nous nous intéressons aux protéases chez deux espèces végétales en particulier : le tabac et l'arabette des dames». Ces deux espèces ne sont pas très grandes : l'arabette adulte mesure à peu près 30 cm tandis que le tabac a une taille de l'ordre du mètre. Il est donc très aisé de les cultiver en chambre de culture, dans un environnement artificiel confiné et contrôlable. En plus ce sont des plantes qui se développent très vite: en quelques mois seulement, une graine germe, grandit et donne de nouvelles graines. Ce sont de bons atouts pour gagner du temps dans les recherches.

Actuellement, l'équipe de recherche a mis en évidence une vingtaine de protéases produites par les racines. et ils ont obtenus des variétés de l'arabette chez qui une de ces protéases est manquantes. C'est en étudiant ces variétés et leur capacité à produire des anticorps qu'ils parviendront surement à améliorer les rendements de production de ce système. Et dans l'avenir, qui sait, chacun d'entre nous cultivera peut-être ses médicaments sur le coin de son bureau ...


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