Un auteur, un interrogateur, un dialogue : c'est sous cette forme que se présente « De l'homme et du citoyen. Une introduction à la philosophie politique » (1), le nouvel ouvrage d'Edouard Delruelle (2), Professeur de Philosophie à l'Université de Liège. L'artifice est certes connu – Platon, déjà... –, mais cette présentation s'accompagne ici d'une vivacité de style qui rend très abordable le contenu philosophique du propos. La lecture peut se mener en suivant fidèlement le chassé-croisé des questions-réponses ou en circulant au gré des pages selon ses motivations du moment. Le plaisir du texte est aussi une composante essentielle de la philosophie.
Il y a de ces livres qui, à peine ouverts, vous donnent l'impression d'avoir commis une indiscrétion. Exclusivement réservée à des spécialistes, la matière qui y est traitée ne s'adresse pas à tous venants. Tel n'est pas le cas de l'ouvrage d'Edouard Delruelle dont le but est, justement, de rendre le plus accessible possible aux néophytes et autres lecteurs intéressés la démarche philosophique. Car c'est bien une démarche qu'il propose : grâce au dialogue soutenu entre l'auteur et un interlocuteur indéterminé, on suit le mouvement d'une pensée dépourvue de présupposés et se déployant sans pesanteur discursive. D'où le plaisir éprouvé tout au long d'un itinéraire comportant 20 entretiens vivants, appelés « séances », suivis en fin de parcours d'un lexique fournissant des renseignements utiles et/ou des développements plus personnels.
Comme il se doit, la 1re séance s'ouvre sur une interrogation prioritaire entre toutes : « Définir la philosophie ? ». Au personnage fictif mû par le désir de savoir au plus vite en quoi consiste exactement cet « amour de la sagesse », il est répondu – à la suite d'une plongée dans le temps jusqu'au « connais-toi toi-même » de Socrate – que la définition de la philosophie est elle-même une question philosophique ! Façon de faire ressortir que cette discipline n'a pas d'objet propre et ne livre pas de réponses toutes faites, mais qu'elle porte plutôt un certain regard sur les choses : c'est en cela que réside sa capacité de se détacher du monde tel qu'il apparaît pour atteindre une réalité inaperçue, plus profonde. Ce qui implique pour le philosophe de pouvoir penser par soi-même et, nourri de l'apport d'un « maître », de penser autrement.
La 2e séance, intitulée « désir, travail, langage », est consacrée à la politique, objet d'étude plus facile à définir puisque ce mot désigne à la fois l'art de gouverner, l'organisation des pouvoirs et les rapports de force constituant le champ du pouvoir. Mais se référant à l'étymologie (grec polis = la cité, l'Etat, et ploliteia = la « constitution »), Edouard Delruelle y repère une autre dimension : un espace de vie, un cadre d'existence. Le voilà donc en train de déplacer son regard – philosophie oblige – et de tourner les yeux vers « en bas », du côté de celui sur qui s'exerce ce pouvoir, autrement dit l'homme : à partir de quand la politique a-t-elle prise sur lui ? Et quel est l'élément ou la dimension qui fait de lui un être politique ? On le voit, le compteur est remis à zéro dans ce domaine précis. S'ensuit un chassé-croisé de questions-réponses entre les deux protagonistes, lequel aboutit à une mise au point faisant sienne le constat d'Aristote pour qui l'homme est un « vivant politique » (zôon politikon) : « la politique est coextensive à l'humanité, elle est la "seconde nature" qui donne forme à nos désirs, nos gestes et nos paroles. Tout est politique : le sexe, l'économie, le langage, la culture, car partout il y a des rapports de pouvoir qui structurent notre subjectivité, qui déterminent quel genre d'humains nous serons. La politique est donc infiniment plus large que le politique, qui désigne classiquement l'exercice de la souveraineté et le jeu des institutions législatives, exécutives et judiciaires. »