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Quel régime patrimonial pour la propriété intellectuelle ?
07/01/2014

Principe ou exception ?

Une question transversale alimente cette réflexion sur la notion patrimoniale du droit intellectuel. Est-ce un droit de principe, ou un droit spécial, d’exception ? En d’autres termes, peut-on, par principe, chaque fois que l’on crée quelque chose, interdire aux tiers de s’en emparer ? Ou cette exclusivité n’existe-elle, au contraire, que dès le moment où le législateur a accordé un droit en lui donnant un nom (droit d’auteur sur des œuvres, droit de brevet sur des inventions…) ? Et quand on n’entre dans aucune case prévue par la loi, le droit d’exclusivité tient-il toujours ?

Actuellement, en Belgique, il est admis que le principe régissant les créations immatérielles est celui de la non-propriété. Le droit intellectuel, si large soit-il en certains cas, serait donc exceptionnel, la règle de base demeurant celle de la libre concurrence. On délimite donc des règles de propriété dans un champ de liberté. Pourtant, quelques auteurs pensent que l’intervention du législateur ne devrait pas être une condition sine qua non de l’appropriation. Selon eux, les droits n’ont pas besoin d’être nommés pour exister. La controverse est lourde de conséquences. Et l’interprétation de la nature du droit intellectuel comme spécial ou de principe peut grandement influer l’établissement d’un arsenal législatif. « Concrètement, la question se pose surtout par rapport à ce qu’on appelle le parasitisme, ou la concurrence parasitaire, dont le caractère illicite fait question. Dans la lutte concurrentielle, on ne peut utiliser de pratiques contraires aux usages honnêtes, comme le vol, l’abus de confiance, le détournement, la contrefaçon. Une certaine jurisprudence considère qu’au delà, l’imitation servile de produits, de services ou de publicité, et ainsi le détournement des efforts et investissements d’autrui, est toujours déloyal. C’est un comportement que l’on peut faire cesser devant les tribunaux. Si on ne met pas de limite à cette jurisprudence, l’action en concurrence déloyale en cas de parasitisme offre à celui qui l’intente une forme de droit intellectuel innomé ; la logique d’une appropriation de principe des produits intellectuels est à l’oeuvre. »

Naissance, modifications, extinction ; cessions et licences

La réflexion menée au long de la première partie permet au chercheur de préciser la nature des droits intellectuels. Il conclut, comme on l’a dit, en épinglant deux caractéristiques qui semblent leur être propres. Les droits intellectuels sont des droits exclusifs spéciaux, et sont presque toujours des biens (sauf dans certains cas, en particulier celui des droits moraux de l’auteur et de l’artiste interprète). Cette double considération a permis au chercheur de développer la deuxième et la troisième partie de la thèse. Il y confronte, à propos de cas précis, les droits intellectuels aux principes du droit des biens et du droit des contrats inscrits dans le Code civil.

Etant donné que le droit intellectuel est spécial (et non général) et qu’il est limité dans le temps, il est régi par des formalités et des lois précisant à quelles conditions il peut être acquis et comment il s’éteint. La deuxième partie de la recherche vise à inventorier, décrire et comprendre ces différents processus, qui varient suivant la nature du droit. Un morceau de musique, une invention, ou un programme informatique ne seront pas protégés de la même manière, par exemple. Tous ne sont pas régis par les mêmes droits. Il existe des modes d’acquisition particuliers. Pour un auteur, le simple fait de la création suffit à entrainer la protection. Et cette protection – le droit d’auteur – durera jusqu’à 70 ans après sa mort. Dans d’autres cas, le seul fait de l’usage suffit. Par exemple, si un restaurateur place une enseigne sur son établissement, ce simple geste empêchera tout concurrent d’ouvrir un restaurant du même nom juste en face. Par contre, certaines créations nécessitent des formalités de dépôt, de publication et d’enregistrement préalables à l’obtention d’un droit intellectuel. C’est le cas des brevets, notamment. « Dans ces cas-là, un monopole d’exploitation réservé au détenteur d’une invention est prévu. Mais il doit pour cela dévoiler ses secrets à ses pairs, explique le juriste. Et une fois que le monopole est éteint, tout le monde peut utiliser ladite invention. »

Le système du brevet, tout en protégeant le créateur (ou son « ayant cause », par exemple son employeur) pour un temps donné, a donc également pour vocation d’avertir les tiers, de donner une publicité considérable à l’invention. C’est ainsi qu’Alexander Graham Bell, par exemple, a pu exploiter économiquement l’invention du téléphone pendant vingt ans, avant que des concurrents puissent à leur tour développer la technologie. Mais il n’y a pas que ces inventions qui requièrent des formalités bien précises pour être protégées. Les marques (verbales ou logos), également, doivent faire l’objet d’un dépôt, etc. « Il y a des modes d’acquisition bien spécifiques déterminés par la nature de la propriété intellectuelle et décrits dans les lois concernant cette matière», résume Bernard Vanbrabant.

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