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Quel régime patrimonial pour la propriété intellectuelle ?
07/01/2014

Jusqu’à quel point le droit dit « intellectuel » peut-il être considéré comme un droit de propriété ? En d’autres termes, peut-on parler de « bien » au sens juridique, quand on parle d’une création immatérielle et de sa protection ? Après deux siècles de débats, la question fait encore couler beaucoup d’encre. Bernard Vanbrabant, jeune juriste de l’Université de Liège, y a consacré une thèse de doctorat (1). Il relève la polysémie du terme de propriété et épingle notamment la conception qui propose d’y voir un mode de réservation exclusive de valeurs permettant leur commercialisation. Dans cette perspective, la frontière entre matériel et immatériel tend à s’éroder. Une approche originale, une définition méticuleuse de la nature de la propriété intellectuelle, qui permet de la mettre en perspective avec le Code civil et d’amorcer la résolution de controverses encore nombreuses.

copyright trademarkLa notion de propriété intellectuelle est aujourd’hui bien répandue pour désigner des biens incorporels comme les productions de l’esprit. Mais peut-on réellement les réduire à cette seule notion ? Peut-on conceptuellement cadenasser quelque chose qui tend à l’ubiquité, comme un morceau de musique, un tableau ou un programme informatique ? Quelles sont les limites des droits d’auteur, des brevets, des dépôts de marque ? Et surtout, comment résoudre les nombreuses questions concrètes encore sans solution ? La notion de propriété intellectuelle aura passionné philosophes, économistes, et juristes depuis deux siècles.

La thèse fouillée et méticuleuse de Bernard Vanbrabant, avocat et assistant au service droit des biens et de la preuve de l’Université de Liège pendant une douzaine d’années, vise à préciser la nature juridique de la propriété intellectuelle et à définir son régime patrimonial. Plus précisément, il cherche au cours de plus de 1000 pages de questionnement et d’analyse de jurisprudence les liens possibles entre le droit intellectuel et le Code civil, rédigé en 1804 pour la protection des biens matériels des citoyens, de leur patrimoine. « Le Code civil a principalement été rédigé pour protéger les biens immobiliers, explique le chercheur. Les biens mobiliers, et plus encore les productions de l’esprit, n’avaient que peu d’importance aux yeux des auteurs du Code civil. » Pourtant, dans la mesure où les droits intellectuels doivent nécessairement obéir à un régime patrimonial, à l’instar des biens corporels, mobiliers et immobiliers, les articles du Code civil continuent, dans de nombreux cas, à offrir un arsenal législatif pertinent.

Un vaste champ d’investigation

Si la thèse impressionne par son aspect encyclopédique, il y est peu question de considérations philosophiques et économiques. L’angle est rigoureusement juridique. L’auteur ne propose pas non plus une étude de droit comparé. Il n’envisage les législations et pratiques étrangères à la Belgique que lorsque les réflexions et solutions sont transposables dans notre propre législation. Malgré ces limitations, le champ à exploiter était vaste et encore en friche, ce qui explique la taille imposante de la thèse. Le chercheur aurait pu réduire son champ d’investigation. En privilégiant par exemple une catégorie plus précise du droit intellectuel, comme le droit d’auteur, ou les marques, ou encore les brevets, ou se limiter à l’étude des rapports contractuels. C’est pourtant le tout qu’il a décidé d’embrasser. « En Belgique, il n’y avait pas encore eu de publications sur le sujet dans sa généralité. La France a déjà eu son lot d’études sur les rapports entre la propriété intellectuelle et le droit commun. Certaines évoquent des sujets très précis. L’une a été rédigée sur la question de la copropriété, une autre sur l’usufruit, une autre encore sur la question des licences… Chez nous, il existe bien évidemment des publications sur des questions liées à la propriété intellectuelle. Mais il n’y avait encore aucune étude fondamentale sur son rapport au droit civil. Alors je me suis proposé d’aborder toutes les questions que posait ce rapport, à travers une recherche assez large dans laquelle les praticiens pourront trouver de véritables réponses en cas de litige».  Au delà du milieu académique, la recherche s’adresse en effet principalement aux praticiens du droit. Beaucoup de questions y sont posées et analysées, selon une méthodologie efficace et systématique. « Bien entendu, je ne réponds pas à toutes les questions. Par exemple, j’avais écrit tout un chapitre sur la question du gage sur propriété intellectuelle, utile lorsqu’une entreprise innovante entend obtenir un crédit. De la même manière que l’on peut grever sa maison d’une hypothèque, ou donner sa montre en gage, pourrait-on mettre en gage une propriété intellectuelle ? Mais une récente évolution dans la loi belge, en matière de sûretés mobilières, m’a contraint de mettre ce chapitre de côté avant la défense de ma thèse. »

(1) La propriété intellectuelle : nature juridique et régime patrimonial, 2013.

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