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La pensée visuelle de Gustav Deutsch selon Livio Belloï
28/12/2013

Gustav DeutschStructuré en chapitres correspondant à ceux du film, le livre de Livio Belloï se peut se résumer en quelques mots tant l’ensemble des idées et thèmes abordés est immense. À l’instar du film de Deutsch, chaque paragraphe contient un sujet fort et à l’analyse longue et profonde, tout en tissant des liens avec d’autres chapitres. Tel est le cas des relations entre Film ist et le cinéma expérimental contemporain, liens disséminés çà et là dans l’ouvrage, offrant un panorama relativement large de ce cinéma en marge. Observons simplement que Deutsch, né à Vienne en 1952 ; fait partie de toute une génération de cinéastes expérimentaux autrichiens qui ont travaillé sur l’image en tant qu’objet historique et esthétique. On peut citer Martin Arnold mais c’est surtout Peter Tscherkassky que cite Livio Belloï, observant comment lui et Deutsch abordent la question du rêve au cinéma. Dans Dream work (2001), Tscherkassky procède par exemple par endogénèse, ou plus simplement par une construction interne : le rêve, chez Tscherkassky, s’apparente à une multiplication de couches au sein même de l’image, le cinéaste travaillant sur la manipulation du matériau filmique original. Deutsch, à l’inverse, agit par exogénèse : le rêve n’existe que par le plan d’une jeune femme endormie servant de point de ralliement entre diverses images. Ce n’est là qu’une des nombreuses comparaisons subtiles qu’effectue Livio Belloï entre Deutsch et d’autres cinéastes expérimentaux, autrichiens (Tscherkassky) ou non (Bill Morrisson, Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi). Deutsch partage avec tous ces artistes le même sens de l’image comme outil narratif, ce même besoin de la travailler mais dans un axe différent, sur un principe de recherches et de montage qui va au-delà de l’image en tant qu’objet singulier ; chez Deutsch, l’image est surtout cellule d’un plus vaste ensemble que forme le film.

Riche d’un tableau récapitulatif en fin de livre, La pensée visuelle selon Gustav Deutsch se termine, comme Film ist, par une ouverture : en cherchant à créer une histoire du cinéma par ses propres images, Gustav Deutsch s’est peut-être approché de l’Atlas Mnemosyne qu’Aby Warburg essaya jusqu’à sa mort de mettre en place ; il s’agissait d’une tentative de mettre en place une grammaire figurative globale à l’échelle de l’histoire de l’art. Chez Deutsch, on en vient à s’interroger sur le film-poursuite, le film ethnographique, la mise au point du langage cinématographique, dans un montage savamment étudié pour dépasser les simples questions de définitions et nous amener à nous interroger sur notre propre regard. Deutsch, par ailleurs admirateur de Warburg, a peut-être amené le cinéma vers une dimension encyclopédique insoupçonnée, dont l’impact ne sera évaluable qu’une fois l’œuvre (Film ist) terminée. Travail de toute une vie, porté par l’intelligence et l’humour d’un artiste hors du commun, Film ist est peut-être, à ce jour, l’une des histoires du cinéma les plus évocatrices existantes.

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