Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège. ULg, Université de Liège

La pensée visuelle de Gustav Deutsch selon Livio Belloï
28/12/2013

Dans son ouvrage sur l’histoire des regards (1), Carl Havelange évoque un « ordre ancien » et un « ordre nouveau », ce dernier se basant sur un « troisième élément » servant de médiateur entre l’œil nu et le monde. Depuis plus de cent ans, le cinématographe a été l’un de ses médiateurs, ce « troisième élément » : les vues des frères Lumière n’avaient pas d’autres ambitions que de capturer l’essence du monde et de l’offrir à tous en guise de divertissement. Toute la beauté du found footage réside précisément dans ce détournement de logique de regards, comme le rappelle Livio Belloï : « la spécificité du found footage, c’est de produire un film qui est la somme de regards produits par d’autres. » Et le chercheur d’ajouter « Film ist est moins un film qu’un appareil optique ». Tel les premiers opérateurs Lumière, Deutsch offre des images du monde au spectateur. Il le fait en évitant tout commentaire oral, toute remarque verbale, ne cherchant à décrire « son » histoire du cinéma (ce qu’a pu faire par exemple Jean-Luc Godard dans Histoire(s) du cinéma) ni même « une histoire du cinéma muet mais bien une histoire muette du cinéma », comme le précise Livio Belloï en fin d’ouvrage.

Le cinéma, disait le cinéaste Samuel Fuller, « en un mot, c’est l’émotion ! ». Définition hautement célèbre pour les cinéphiles, la sentence de Fuller trouve une forme d’apogée dans Film ist, comme aime le souligner Livio Belloï. Deutsch, tout au long de son œuvre, interroge les images, emmène le spectateur dans sa réflexion sans négliger pourtant les impacts émotionnels : curiosité, étrangeté, révolte mais aussi humour et tendresse, etc. C’est une véritable recherche d’expression plastique que mène l’artiste, à l’instar des avant-gardes des années 20.  Par moments, dans son travail sur les variations de vitesse de l’image, Deutsch semble s’inscrire dans la continuité des cinéastes de ce temps. La relation qu’entretient Deutsch et ces avant-gardes compile tour à tour hommage et poursuite de réflexion. Film ISTL’ironie n’est toutefois pas absente : le chercheur en prend pour preuve ce chapitre (10.1), surprenant, où les intertitres s’enchaînent sans laisser apparaître la moindre figure humaine, le moindre décor. Dans le « cinéma pur » que défendaient René Clair et autre Germaine Dulac, le cinéma devait abandonner toute forme décrit pour laisser place à l’image, à la composition visuelle, au rythme du montage : un film sans mots. Deutsch, non sans dérision, prend le contrepied et amène un cinéma que l’on peut qualifier d’« impur » : enchaînement de textes mais absence d’univers diégétique, bref un film sans images. Une petite touche d’humour intelligente et pour le moins pertinente.

(1) Carl Havelange, De l'oeil au monde. Une histoire du regard au seuil de la modernité, Paris, Fayard, 1998.

Page : précédente 1 2 3 suivante

 


© 2007 ULi�ge