Entre montage et mouvement, regards croisés et résurgences, Gustav Deutsch s’évertue dans son œuvre monumentale, Film ist, à écrire une histoire du cinéma par l’image elle-même, au croisement du cinéma des premiers temps, des avant-gardes des années 20 et du cinéma expérimental contemporain. Dans son ouvrage Film ist. La pensée visuelle selon Gustav Deutsch, Livio Belloï s’attache à cerner une œuvre majeure de cet artiste inclassable.
Alors qu’il a fait sensation à la Berlinale 2013 avec son œuvre Shirley, transposition de l’œuvre d’Edward Hopper au cinéma, Gustav Deutsch fait également l’actualité de la littérature scientifique cinématographique avec l’ouvrage de Livio Belloï, Film ist. La pensée visuelle selon Gustav Deutsch (1). Si différents ouvrages, pour la plupart généralistes, existe déjà sur Gustav Deutsch, le livre de Livio Belloï est le premier à s’attarder sur Film ist, ou plus particulièrement une partie de celui-ci. L’œuvre originale de Deutsch est composée de 13 chapitres (1-6, 7-12, 13), pour une durée globale de quatre heures ; Livio Belloï ne se concentrera, en quelques 300 pages, que sur le volet central (7-12). La raison est simple : pour le chercheur, « il semble assez évident que cette partie centrale s’affirme comme la plus riche d’enjeux quant à une hypothétique définition du cinéma par lui-même ; c’est à cet endroit que la pensée en images de Deutsch atteint sa pleine maturité, que son art du prélèvement et du remontage trouve à cristalliser en de véritables propositions analytiques. »
Reprenant, en forme d’hommage, la structure du film de Deutsch, le livre de Livio Belloï s’attarde chapitre par chapitre sur une série de questions relatives à ce que nous voyons. Voir : tel est l’un des grands thèmes de l’œuvre de Deutsch. Le chapitre 7 (et premier chapitre du film) est à cet égard l’un des plus parlants : dans le segment 7.2, un homme se penche pour regarder par le trou d’une serrure, et le film nous offre à voir « l’autre côté », le contrechamp, par un système d’alternance. Le geste de Deutsch n’est pas anodin : la serrure, à bien des égards, à modeler une série de films des premiers temps, établissant une logique de raccord dans les balbutiements de ce que sera le langage cinématographique. On se souvient alors de Par le trou de la serrure, une production Pathé de 1901, archétype de la réflexion quant à la représentation de la vision subjective dans le cinéma des premiers temps, quand un jeune garçon d’étage observe, de manière peu subtile, les petites extravagances de ses clients dans leurs chambres. Expérimentation, certes, mais surtout pulsion scopique, ce besoin de voir ce que nous ne pouvons voir en temps normal. Le discours est bien connu, mais pourtant criant de vérité : le cinéma est l’art du voyeurisme. C’est ce qu’entend précisément souligner Deutsch : le cinéaste positionne le spectateur dans la même posture que son voyeur, mais joue surtout de notre perception du monde (et du langage cinématographique) en dérogeant à la sacro-sainte règle de raccords : canot sur la mer, paysage du Maghreb, portrait d’une jeune femme asiatique et effroi d’une actrice attaquée par un serpent s’enchaînent sans la moindre logique, le moindre rapport si ce n’est celui, essentiel, d’être « objet de regard », de n’être « que » des images.