Quelle vie psychique pour les détenus ?
Dans le même ordre d'idées, il considère que le fondement de la démarche du psychologue en milieu carcéral ne doit pas être centrée sur la rencontre avec un criminel, mais avec un être humain. Car l'individu doit être appréhendé dans sa globalité et en situation. Ainsi, la dangerosité de quelqu'un est un phénomène très complexe, dans la mesure où elle est toujours liée à un instant et à un contexte. « De même, selon le moment et les circonstances de sa manifestation, une psychopathologie peut se révéler extrêmement adaptée, souligne Jérôme Englebert. Dans son ouvrage Éthologie et psychiatrie, Albert Demaret écrit une phrase bouleversante à propos des psychopathes : "En temps de paix, on les enferme ; en temps de guerre, on compte sur eux et on les couvre de décorations..." Le but n'est évidemment pas de relativiser des actes odieux, mais d'insister sur la nécessité d'une prise en charge psychologique ou psychiatrique individualisée où le sujet est considéré dans sa dimension d'être humain. » Des planches aux fenêtresEn pervertissant la relation au temps, à l'espace et au corps, notamment, la prison a pour effet de diminuer, voire parfois d'anéantir le vécu émotionnel. En milieu carcéral, l'émotion est assimilée à une forme de désordre susceptible d'entraîner des problèmes de sécurité. Dès lors, la prison met tout en œuvre pour la saper, ce qui conduit certains détenus dans des impasses émotionnelles, l'émotion étant indissociable de notre identité et indispensable à notre équilibre psychique. « Souvent, les détenus partagent leurs émotions avec des codétenus ou des gardiens qui deviennent quelquefois des confidents, fait remarquer Jérôme Englebert. Toutefois, la richesse inhérente à l'hétérogénéité des vécus émotionnels du monde extérieur est perdue, ce qui est dommageable. Dans les cas les plus extrêmes, la destruction émotionnelle engendre une sorte de mort psychique. » Dans de telles conditions, le psychologue clinicien ne peut se contenter d'un rôle de « technicien » ; il doit tendre la perche à l'expression émotionnelle. L'hypothèse de la liberté carcérale exige de lui qu'il oriente le détenu vers cette profanation à laquelle nous faisions allusion, vers des pans de créativité dont l'exploration est de nature à enrichir la vie émotionnelle et à permettre l'accès à des formes alternatives de liberté. Par exemple, il pourra encourager la pratique de la peinture ou de l'écriture. L'incarcération induit d'importantes difficultés psychologiques. Néanmoins, chaque individu réagit à sa manière à l'environnement carcéral. Ainsi, des détenus auront tendance à se replier sur eux-mêmes, à adopter peu ou prou la position du paranoïaque, tandis que d'autres chemineront vers un état dépressif. D'autres encore s'empareront de ce qu'il est convenu d'appeler l'« identité carcérale ».
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