Les débats sur le dumping social agitent constamment l’espace européen : détachement de travailleurs, transporteurs routiers venus des pays de l’Est, accusations de concurrence déloyale à l’encontre des compagnies low cost… Une thèse (1) d’Alexandre Defossez, assistant à l’Institut d’études juridiques européennes de l’Université de Liège, fait le point sur les réactions de l’Union européenne face au dumping social au sein de ses frontières.
Le dumping social existe depuis très longtemps. « Les premiers emplois du terme remontent aux années 1920-1930, mais la réalité qu’il désigne est bien plus ancienne, explique Alexandre Defossez. Lors de l’Acte d’Union des royaumes d’Ecosse et d’Angleterre au début du XVIIIème siècle, des craintes ont été exprimées en Angleterre sur l’arrivée massive de travailleurs écossais. On trouve aussi, aux XVIIIème-XIXème siècles, des références à des craintes de perte de position concurrentielle d’Etats suite à l’adoption de dispositions sociales, comme la limitation du travail des enfants ou l’octroi d’un jour de congé aux travailleurs le dimanche ».
Lorsqu'il entame ses recherches, l'une des premières tâches d'Alexandre Defossez est de définir la notion de « dumping social ». Une tâche complexe car si cette expression est utilisée dans des contextes et par des acteurs très variés (de l’employeur au syndicaliste, du juriste à l’homme politique), elle n’avait jamais été clairement définie. « La question salariale cristallise le plus souvent les discussions parce qu’il demeure des différences énormes dans le coût du travail entre les pays européens, note l’auteur. Il existe toutefois bien d’autres divergences, par exemple dans l’application du droit du travail. Des Etats sont plus laxistes dans les contrôles qu’ils effectuent, ce qui attire certaines entreprises ».
Il arrive régulièrement que des Etats au niveau de développement économique comparable s’accusent de dumping social. Dans l’introduction de sa thèse, Alexandre Defossez relève l’exemple du Grand-Duché de Luxembourg, à qui la France a reproché d’avoir laissé prospérer sur son territoire des entreprises de travail temporaire dont la seule activité était d’employer des Français détachés au service d’entreprises situées en France. L’absence de salaire minimal en Allemagne soulève également la critique.
L’auteur propose sa propre définition de dumping social : « une forme de concurrence déloyale consistant en l’exploitation délibérée, par un opérateur économique, d’une divergence entre les différentes règles de droit social des Etats membres de l’Union afin d’en tirer un avantage économique ». Il précise que cette divergence peut être la conséquence de la politique d’un Etat destinée à établir ou renforcer sa position concurrentielle au sein du marché intérieur.
L'égalité salariale pour lutter contre le dumping social
La thèse se concentre sur le dumping social intra-européen et la réaction de l’Union européenne face à ce phénomène. Alexandre Defossez relève que ce type de dumping est pris en compte dès 1957 dans le Traité de Rome.
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« La négociation de ce traité a suscité de grandes tensions entre Etats. La France voulait une harmonisation des systèmes sociaux avant la signature. En entrant dans le marché commun, elle craignait une diminution du niveau de vie de ses travailleurs, une délocalisation de ses entreprises ou une concurrence déloyale de travailleurs de pays qui ne bénéficiaient pas d’un système social aussi développé que le sien. Face à la France, un bloc essentiellement représenté par l’Allemagne défendait des positions libérales. Il considérait les arguments français comme protectionnistes.»
(1) « Le dumping social dans l'Union européenne : Étude à l'aune du droit primaire et de la directive détachement », thèse de doctorat, Université de Liège.