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Le vote des diasporas : quels impacts ?
25/10/2013

Les craintes des pays hôtes

Dans son ouvrage, Jean-Michel Lafleur étudie les conséquences du droit de vote d’une diaspora sur ses relations avec les pays hôtes. Etonnamment, le Canada, dont le caractère multiculturel est inscrit dans la constitution, est l’un des pays où ce vote pose parfois des questions. « Le Canada n’a pas de problème avec le droit de vote à distance mais bien avec la représentation : lorsque des élus vivant sur son territoire siègent au parlement d’un autre pays. Le Canada craint que cela complique ses relations diplomatiques, par exemple si un élu de la diaspora italienne, qui est aussi un citoyen canadien, parle au sein du parlement italien au nom du Canada alors qu’il n’a aucun mandat pour cela. Le Canada a donc menacé des pays de ne pas les laisser organiser leurs élections sur son territoire. Il lui serait toutefois très difficile de les interdire si les membres de la diaspora votent à leur consulat, qui est protégé par le traité de Vienne. Une autre crainte du Canada est que les questions politiques stimulent des tensions ethniques au sein de certaines diasporas, et que ça nuise au bon vivre ensemble de la société canadienne ».

La Belgique n’a, jusque ici, pas émis le même genre de réserves vis-à-vis du vote des diasporas sur son territoire. « Il n’y a pas eu de difficulté car les communautés qui pourraient être considérées comme sensibles ne disposent pas du droit de vote à distance, note Jean-Michel Lafleur. La Turquie n’autorise le vote des migrants que s’ils se déplacent sur le territoire turc le jour de l’élection(1). Le Maroc a inscrit dans sa constitution le droit de vote de ses ressortissants vivant à l’étranger, mais la mise en œuvre est restrictive et aucune campagne électorale n’a encore eu lieu. A l’avenir, si des partis turcs ou marocains commençaient à mener des campagnes électorales d’envergure dans les rues de Bruxelles, il y a fort à parier que l’opinion publique n’y réagirait pas favorablement. Dans le cas de la République démocratique du Congo, la diaspora n’a pas le droit de vote non plus mais sa capacité de mobilisation est importante. Aux dernières élections présidentielles congolaises, on a pu constater, lors de manifestations dans le quartier Matonge de Bruxelles, que la réaction des autorités belges avait été assez brutale (autopompes, chevaux, …) ».

Coopération intéressée des partis européens

Jean-Michel Lafleur souligne que l’octroi du droit de vote aux diasporas a suscité des collaborations entre partis politiques européens. « Une bonne partie des électeurs à distance sont des doubles nationaux, ils ont le droit de voter dans deux pays. On observe un échange de bons procédés entre partis européens, notamment dans le cas de l’Italie. Par exemple, lors des élections communales de 2012 en Belgique, une élue du Parti démocrate italien qui habite en Allemagne a envoyé un courrier à ses électeurs leur rappelant qu’ils ont la possibilité de voter et que s’ils le font, elle leur recommande telle ou telle liste. De la même façon, en cas d’élection en Italie, Elio Di Rupo se déplace au congrès du Parti démocratique italien à Bruxelles pour inviter les Italiens de Belgique à voter pour ce parti ». Des partis politiques qui ont parfois quelques difficultés à se structurer au niveau européen collaborent donc sur ce genre de questions, lorsque des intérêts électoraux sont en jeu. C’est d’autant plus le cas en Belgique, où les partis européens ont leur siège en raison de la présence des institutions européennes.

Dans son ouvrage, Jean-Michel Lafleur étudie l’intérêt porté par les diasporas au droit de vote à distance qui leur est nouvellement accordé. Une constante coule de source : plus le système d’inscription sur les listes d’électeurs est contraignant, plus le taux de participation est faible. L’existence d’une grande diaspora dans le pays d’accueil et la confiance dans le processus démocratique du pays d’origine sont deux autres critères qui influencent le taux de participation. La comparaison des situations du Mexique et de l’Italie est révélatrice. « Dans le cas mexicain, la revendication de vote à distance a plutôt été portée par une élite au sein des diasporas. Une fois le vote accordé, elle n’a pas vraiment réussi à mobiliser les troupes. La participation a été très limitée, à cause peut-être d’un manque d’information et d’intérêt, mais surtout parce que le système mexicain est très bureaucratique et complexe, il pose beaucoup de barrières à l’inscription des électeurs. Dans le cas de l’Italie par contre, les membres de la diaspora reçoivent le bulletin de vote chez eux sans le demander, et des communautés importantes suscitent une mobilisation. Les taux de participations au vote par distance montent aux alentours des 30 à 40%, ce qui est élevé ».

(1) suite à un changement législatif récent, la Turquie autorisera le vote à distance de sa diaspora aux élections présidentielles pour la première fois en 2014

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