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Le vote des diasporas : quels impacts ?
25/10/2013
De plus en plus de migrants ont la possibilité d’avoir un rôle politique dans leurs pays d’origine suite à l’octroi du droit de vote à distance. Ce nouveau droit suscite son lot de nouvelles coopérations, de craintes et parfois quelques difficultés sur le plan pratique. Le nouvel ouvrage de Jean-Michel Lafleur, directeur adjoint du CEDEM, fait le point sur les raisons de ce développement, l’intérêt porté par les migrants à ce vote et les conséquences sur leurs relations avec les pays hôte et d’origine.
La possibilité de voter dans son pays d’origine depuis un pays d’accueil ne coule pas de source pour les personnes migrantes et leurs descendants. Au début du XXème siècle, le vote à distance ne concernait que les personnes qui servaient l’intérêt national depuis l’étranger, comme les diplomates, les marins et les militaires. Il a fallu attendre les deux dernières décennies pour qu’un grand nombre d’Etats accordent le droit de vote à leur diaspora, à tel point que ces Etats sont aujourd’hui majoritaires. Les personnes migrantes jouent actuellement un rôle de plus en plus important dans les équilibres politiques de leurs pays d’origine.
Ces évolutions ont poussé Jean-Michel Lafleur, chercheur qualifié du FRS-FNRS et directeur-adjoint du CEDEM (1) de l’Université de Liège, à consacrer de 2004 à 2008 une thèse de doctorat au « transnationalisme politique ». Il l’a mise à jour pour publier cette année un ouvrage de référence sur le droit de vote à distance des diasporas (2). L’un des premiers chapitres explique les raisons qui poussent les Etats à accorder ce droit. « On constate une transformation dans les relations entre migrants et pays d’origine, notamment dans les cas de l’Afrique et de l’Amérique latine, où les envois de fonds en provenance des migrants ont explosé entre les années 90 et les années 2000, explique l’auteur. Beaucoup d’Etats d’origine se sont rendu compte que la migration est une ressource, un potentiel économique. Plusieurs politiques publiques sont ainsi développées pour renforcer les liens entre diasporas et pays d’origine. Le droit de vote à distance est l’une de ces politiques, tout comme la reconnaissance de la double nationalité ou les programmes qui aident aux investissements des migrants dans le pays d’origine ». Les transitions démocratiques en Europe de l’Est, dans de nombreux pays d’Afrique et d’Amérique latine expliquent aussi le développement du droit de vote à distance, tout comme les pressions des diasporas.
Le cas de l’Italie, qui n’a accordé le droit de vote à sa diaspora qu’en 2006 alors que des migrants italiens le réclamaient depuis les années 60, montre que cette revendication n’est pas qu’une formalité. Jean-Michel Lafleur : « Il faut un contexte parlementaire favorable à ce genre d’évolution, surtout dans des démocraties parlementaires de coalition : dès qu’on accorde le droit de vote à une nouvelle population, on ouvre la porte à un changement des équilibres électoraux. En Italie, au moment de donner le droit de vote à un potentiel de trois millions de personnes, les partis politiques ont tenté d’anticiper les tendances de leurs votes. Cette crainte d’un basculement des résultats électoraux a poussé l’Italie à créer une circonscription spéciale dans laquelle les Italiens de l’étranger ne peuvent élire que six sénateurs et douze députés. L’impact du vote de ces millions d’électeurs est donc limité ». Sans cette mesure, les résultats des élections dans certaines circonscriptions électorales italiennes auraient pu être fortement influencés par la diaspora qui en est originaire.
(1) Le CEDEM (Centre d’Etudes de l’Ethnicité et des Migrations) est un centre basé à l’Institut des Sciences Humaines et Sociales qui mène des recherches théoriques ou empiriques dans les domaines des migrations humaines, des relations ethniques et du racisme. Il s’intéresse notamment aux relations entre les processus migratoires et les inégalités de développement. Ses recherches sont menées dans une perspective pluridisciplinaire (science politique, sociologie, anthropologie, relations internationales, droit). (2) “Transational Politics and the State. The External Voting Rights of Diasporas”, Routledge, New York, 2013.
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